Hier, Dave reçoit une lettre : ce foutu gosse est entré dans une secte religieuse de l’Arkansas et il leur a écrit : « Chers papa-maman, j’ai trouvé Dieu, bla-bla-bla »… Attends la suite : « J’ai changé de nom. Je ne suis plus Michael Stern, je m’appelle Matthew. » Tu vois ça ? Il abandonne son nom de famille, sa religion… Parce qu’il est juif, Dave. Pas un mot sur l’endroit où il est, sur le jour où il rentrera, s’il rentre même un jour, et cet enfoiré de môme a le culot de terminer sa bafouille par « Souriez, Jésus vous aime. Matthew »…

— Nom de Dieu.

— Il a plaqué les études. Sans un mot, rien.

Banion se servit un verre, poursuivit :

— Tu sais qu’il était en première année seulement et déjà admis à l’école des dentistes ? Tu te rends compte ? Il était tellement brillant qu’on l’avait pris avec un an d’avance. Il lui suffisait de finir sa première année et il était admis. Avec une bourse complète, Chubby, complète. T’as une idée de ce que ça a fait aux parents ? La femme de Dave est en dépression. Ronnie, l’autre fils de Dave, plus âgé, est descendu dans l’Arkansas en bagnole pour retrouver son frère et le ramener par la peau du cul. Dave était venu ici en début de soirée, il picolait comme un trou. Sa vie est brisée. D’un seul coup, il se tire et il revient une heure après, la liquette déchirée, soufflant comme un taureau. Dix minutes plus tard, les flics débarquent, ils le menacent de leurs armes et l’emmènent. Le pauvre chialait comme un gosse. Un des poulets m’a raconté ce qui s’était passé. Tu connais ces frappadingues d’Hare Krishna, qui dansent devant le centre commercial de Central Avenue ? En passant dans sa voiture, Dave les a vus et il a pété une durit : Hare Krishna, les Fous de Jésus, c’est du pareil au même, hein ? Dave sort de sa tire avec un pied-de-biche. Il en a envoyé trois à l’hosto. Les flics l’ont poursuivi jusqu’ici. Deux ou trois clients sont allés au poste expliquer ce qui se passait et le juge a fixé la caution à cinquante dollars. Ils ont raqué et l’ont ramené chez lui.

— Je vais te dire une chose, Banion. Ces temps-ci, je remercie Dieu de ne pas avoir de gosses. Le pauvre Dave. Et sa femme ?

Banion haussa les épaules.

— Difficile à dire. Je crois qu’elle s’en sortira. C’est un couteau dans leur cœur, cette histoire. Un couteau dans leur cœur.

— Tu penses pas comme moi ? demanda Chubby.

— A propos de quoi ?

— Des gosses. T’es pas content de ne pas en avoir ?

Banion regarda Chubby d’un air abattu.

— J’en ai un.

— Vraiment ? Comment ça se fait que t’en parles jamais ?

— Y a rien à dire… Je l’ai viré y a trois ans.

Banion s’occupa les mains en relavant des verres déjà propres.

— Pourquoi ?

— Paul est pédé, lâcha Banion d’un ton détaché.

Chubby sentit sa tête tourner comme l’autre soir avec Sylvia, des picotements dans ses mains et ses pieds.

— Qu’est-ce que… Comment tu le sais ?

Banion lui lança un regard mauvais.

— Me demande pas comment je le sais. Je le sais, c’est tout.

Chubby alla aux gogues. Quand il revint, Banion tournait le dos à la salle, les mains sur le giron. Il fit pivoter son fauteuil.

— T’as raison, Chub.