Ces temps-ci, les gens qu’ont pas de gosses devraient remercier Dieu.
Ils éclusèrent trois autres verres en silence jusqu’à ce que Chubby descende de son tabouret et se dirige vers la porte.
— Chubby ? le rappela Banion. Pas un mot à personne, d’accord ?
7
Stony se leva de bonne heure lundi matin. Butler et lui avaient promis à Chili Mac de l’aider à s’installer dans son nouvel appart, près du D’Artagnan. Quand il sortit du lit, Albert regardait déjà des dessins animés. Son père était parti bosser, sa mère dormait encore. Lorsqu’il passa devant sa chambre, il l’entendit pousser des gémissements étranges dans son sommeil. Il haussa les épaules et quitta l’appartement.
Marie rêvait qu’elle était assise, nue, sur le tabouret du piano de la maison de ses parents. Ils se tenaient derrière elle et riaient aux éclats. Contente qu’ils soient heureux, elle joignit son rire au leur. Entre deux accès d’hilarité, sa mère lui dit :
— Ne t’en fais pas, ma fille, le Dr Marcus sera bientôt là.
Marie prit peur. Elle détestait le Dr Marcus.
— Pourquoi il vient ? demanda-t-elle.
— Parce que, regarde ! crièrent ses parents en désignant son dos.
Ils se remirent à rire, quasiment pliés en deux. Marie passa un bras derrière son dos, ses doigts touchèrent quelque chose de doux et de collant. Elle se rua vers le miroir. Son dos s’était ouvert de la base du crâne à un point situé au-dessus des fesses, révélant une énorme larve blanche et pulpeuse.
Marie roula hors du lit et rendit sur le sol. Elle tremblait tellement qu’elle ne réussit pas à se mettre debout et resta à quatre pattes sur la moquette éclaboussée de vomi. Elle geignit. Son estomac se soulevait et se convulsait par vagues. Elle voulut s’essuyer le menton mais, quand elle leva une main, elle tomba sur le coude.
— M’man ! cria Albert.
Il était planté sur le seuil de la pièce, l’air horrifié.
— Aide-moi, lui lança-t-elle d’une voix rageuse.
Il recula.
— Aide-moi, petit saligaud !
Albert courut se réfugier dans sa chambre en pleurant. Marie l’entendit claquer la porte. Agenouillée, elle pencha les mains et la tête vers le lit comme si elle récitait ses prières, resta un moment dans cette position avant de se lever péniblement. Elle prit une profonde inspiration et sentit que vomir avait mis le fond de sa gorge à vif. Elle essuya son visage à sa chemise de nuit trempée de sueur, gagna la salle de bains d’un pas chancelant.
Après une douche très chaude, elle se sentit un peu mieux. Elle se brossa deux fois les dents, se gargarisa à la Listerine. Elle avait encore les jambes en guimauve quand elle sortit de la salle de bains dans le peignoir framboise de Tommy. En passant devant la chambre d’Albert, elle se souvint avec colère de sa dérobade. Les dents serrées, elle ouvrit la porte si violemment que le bruit de la poignée contre le mur claqua comme un coup de feu. Albert couina, se leva d’un bond. Une bataille de dessin animé faisait rage sur le téléviseur, des animaux traversaient l’écran pour aller s’écraser quelque part hors champ.
— P… pardon, m’man, bredouilla-t-il en postillonnant.
La vue de Marie dans l’encadrement de la porte, la poitrine haletante, telle une Méduse en furie, lui fit mouiller son pantalon. Il baissa la tête vers la tache qui s’élargissait puis regarda de nouveau sa mère, lui adressant une supplique muette.
— ESPÈCE DE POOORC ! rugit-elle.
Elle se précipita dans la chambre, saisit Albert par les cheveux et tira si fort qu’il dut presque se mettre sur la pointe des pieds. Il cria et, dans un spasme, agita les jambes, courant sur place.
Il regardait autour de lui mais n’osait pas bouger, de peur qu’elle lui arrache le cuir chevelu.
— M’man, ssss’il te plaît, implora-t-il, les larmes aux yeux.
Il tenta de lui caresser la joue mais elle ramena la tête en arrière et tira plus fort encore sur ses cheveux.
— J’te demande pppar… pardon, hoqueta-t-il.
Marie avait le visage tremblant, les yeux presque clos, la lèvre supérieure réduite à une fine ligne blanche.
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