Notre soulagement fut immense de découvrir enfin l’horizon marin, puis les plages de sable salé sur lesquelles les plus ardents de ma suite s’élancèrent en criant d’enthousiasme comme des enfants. Tant il est vrai que la mer apparaît toujours comme une promesse d’évasion hélas assez souvent trompeuse.
Nous avons fait halte dans le port de Kosseir. Comme la plupart des villes côtières de la mer Rouge, l’essentiel du trafic maritime de Kosseir se fait avec Elath, à l’extrême nord du golfe qui sépare la péninsule du Sinaï et la côte de l’Arabie. C’est l’ancien Ezion Guéber du Roi Salomon qui drainait l’or, le santal, l’ivoire, les singes, les paons et les chevaux des deux continents, l’africain et l’arabique. Neuf jours de palabres furent nécessaires pour affréter les onze barcasses dont nous avions besoin pour transporter hommes, bêtes et provisions. Puis nous eûmes encore à patienter cinq jours, parce que le vent soufflant du nord rendait la navigation impossible. Enfin nous pûmes lever l’ancre, et, après une semaine de navigation le long de falaises de granit abruptes et désertiques, dominées par d’imposants sommets, nous entrâmes dans le dégagement du port d’Elath. Cette paisible traversée fut un repos pour tout le monde, et au premier chef pour les chameaux immobilisés dans l’ombre des cales, et qui se refirent la bosse en mangeant et en buvant à satiété.
D’Elath à Jérusalem, on nous avait annoncé vingt jours de marche, et sans doute eussions-nous franchi cette distance dans ce délai, si nous n’eussions fait à deux jours de Jérusalem une rencontre qui devait à la fois retarder notre marche et lui donner une signification nouvelle.
Barka Maï m’entretenait depuis notre débarquement de la majesté inouïe de l’antique Hébron vers laquelle nous nous dirigions, et qui selon lui aurait valu à elle seule le voyage. Elle s’enorgueillit d’être la ville la plus ancienne du monde. Et comment en serait-il autrement, puisque c’est là que se réfugièrent Adam et Ève après avoir été chassés du Paradis ? Mieux : on y voit le champ dont la glaise servit à Yahvé pour modeler le premier homme !
Porte du désert d’Idumée, Hébron veille sur trois petites collines verdoyantes, plantées d’oliviers, de grenadiers et de figuiers. Ses maisons blanches, entièrement fermées sur l’extérieur, ne laisse percer aucun signe de vie. Pas une fenêtre, pas un linge séchant sur une corde, pas un passant dans ses ruelles en escalier, pas même un chien. C’est du moins le masque rébarbatif qu’oppose à l’étranger la première cité de l’histoire de l’humanité. C’est aussi ce que me rapportèrent les messagers que j’avais envoyés pour annoncer notre arrivée. Pourtant ils n’avaient pas rencontré que le vide à Hébron. Selon leur rapport, une caravane nous y avait précédés de quelques heures à peine, et, devant l’inhospitalité des habitants, ces voyageurs dressaient à l’est de la ville un camp qui promettait d’être magnifique. Je dépêchai aussitôt un envoyé officiel pour nous présenter et s’enquérir des intentions de ces étrangers. Il revint visiblement enchanté du résultat de sa mission. Ces hommes étaient la suite du roi Balthazar IV, souverain de la principauté chaldéenne de Nippur, lequel nous souhaitait la bienvenue et me priait à souper.
La première chose qui me frappa en approchant le camp de Balthazar, ce fut la quantité des chevaux. Nous autres, gens du grand sud, nous ne voyageons qu’avec des chameaux. Le cheval, parce qu’il transpire et urine sans retenue, est inadapté au manque d’eau qui est notre condition habituelle. C’est pourtant d’Égypte que le Roi Salomon faisait venir les chevaux qu’il attelait à ses fameux chars de combat. Par leur tête busquée, leurs membres courts mais puissants, leur croupe ronde comme une grenade, les chevaux du roi Balthazar appartiennent à la célèbre race des monts Taurus que la légende fait descendre de Pégase, le cheval ailé de Persée.
Le roi de Nippur est un vieillard affable qui semble au premier abord ne rien mettre au-dessus du confort et du raffinement de la vie. Il se déplace dans un tel équipage qu’on ne songe pas un instant à lui demander dans quel but il voyage : pour le plaisir, pour la joie, pour le bonheur, répondent les tapisseries, la vaisselle, les fourrures et les parfums dont un personnel nombreux et spécialisé a la charge. À peine arrivés, nous fûmes baignés, coiffés et oints par des jeunes filles expertes dont le type physique ne manqua pas de m’impressionner. On m’a expliqué plus tard qu’elles étaient toutes de la race de la reine Malvina, originaire de la lointaine et mystérieuse Hyrcanie. C’est de là que le roi, par un délicat hommage à sa femme, fait venir les suivantes du palais de Nippur. De peau très blanche, elles ont de lourdes chevelures noires comme jais avec laquelle contrastent de façon ravissante des yeux bleu clair. Rendu attentif à ces détails par ma malheureuse aventure, je les ai vraiment bien regardées, tout durant qu’elles me bichonnaient. La première surprise épuisée, le charme s’est pourtant quelque peu éventé.
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