Pour les juifs de Jérusalem, les Iduméens, ces fils d’Ésaü convertis de force au judaïsme, restaient des barbares, mal dégrossis, mal circoncis, toujours suspects de paganisme. Que l’un d’eux s’élevât jusqu’au trône de Jérusalem, c’était une inconcevable et blasphématoire provocation. Hérode n’avait pu devenir le successeur de David et de Salomon qu’à force de flagornerie auprès des Romains, dont il était la créature, et en épousant Mariamme, petite-fille d’Hyrcan II et ultime descendante des Macchabées. Cette alliance, d’abord inespérée, providentielle pour l’Induméen, devait bientôt peser lourdement sur lui, car il ne cessa jamais de faire figure d’aventurier aux yeux de ses beaux-parents, de sa femme et même de ses propres enfants, tous d’origine plus noble que lui. Avec Hérode, tout finit toujours par un bain de sang. Cette infériorité ineffaçable – que Mariamme ne se faisait jamais faute de lui rappeler – il l’a noyée dans une série d’assassinats et d’exécutions dont personne n’a réchappé, qui le laisse seul maître du royaume, face à la haine de son propre peuple, demeuré fidèle à la dynastie des Macchabées.
Au demeurant, Hérode ne fait rien pour ménager les susceptibilités des juifs intégristes. Il voyage dans tout le monde méditerranéen où il acquiert sur toutes choses des vues cosmopolites, universelles. Il envoie ses fils faire leurs études à Rome. Il aime les arts, les jeux, les fêtes. Il voudrait faire de Jérusalem une grande cité moderne. Il y construit un théâtre dédié à Auguste. Il l’agrémente de parcs, de fontaines, de colombiers, de canaux, d’un hippodrome. Les juifs crachent sur ces innovations sacrilèges. Ils accusent leur roi de réintroduire à Jérusalem les mœurs qu’Antiochus Épiphane – de mémoire exécrée – y avait admises, et qu’ils avaient mis un siècle de rigorisme à déraciner. Hérode n’en a cure. Il subventionne indifféremment temples, thermes, voies triomphales à Ascalon, Rhodes, Athènes, Sparte, Damas, Antioche, Béryte, Nicopolis, Acre, Sidon, Tyr, Byblos. Partout il fait graver le nom de César. Il rétablit les Jeux Olympiques. Il outrage les juifs en restaurant magnifiquement Samarie, détruite par les Macchabées, et Césarée, conquérante de Jérusalem et futur siège des gouverneurs romains de la Palestine. Comble de dérision, il paie les acteurs, les gladiateurs et les athlètes en monnaie juive, ces pièces sans effigie, portant en face les mots Hérode-roi et en pile une corne d’abondance.
Ce dernier emblème est pourtant mérité, car si les milieux traditionalistes de Jérusalem vouent Hérode aux gémonies, il est apprécié en revanche par une bourgeoisie enrichie dont les fils, élevés à la gréco-romaine, s’exhibent nus, avec un prépuce reconstitué [5], dans les gymnases financés par la couronne. Mais ce sont surtout les juifs des campagnes et ceux de l’étranger qui se félicitent de l’ouverture d’Hérode. Les communautés israélites de Rome bénéficient des excellentes relations que le roi entretient avec l’Empereur. Quant aux provinces de la Palestine, elles connaissent une période de paix et de prospérité sans précédent. Les hauteurs et les vallées de Judée nourrissent d’immenses troupeaux de moutons qui profitent en hiver d’une innovation d’origine romaine : le fourrage de luzerne. L’orge, le froment et la vigne viennent en abondance sur la terre rouge de Palestine. La figue, l’olive et la grenade sont données presque sans contrepartie de travail. Les guerres et les troubles avaient jeté sur les routes toute une population de paysans déracinés. Hérode leur a confié ses propres domaines en fermage. Les basses terres de Jéricho, artificiellement irriguées, sont devenues ainsi des exploitations agricoles modèles. Salomon s’était fait une spécialité de l’exportation d’armes et de chars de combat.
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