C’était une paire de bottes, et au-dessus un gros ventre, et au-dessus un chapeau de garde-chasse, bref un véritable géant des bois. Et le géant cria d’une voix de tonnerre :

— Alors, petit galopin ? C’est comme ça qu’on vient dénicher les œufs dans la forêt du roi ?

Petit galopin ? Comment pouvait-on l’appeler ainsi ? Et Nabou s’avisa soudain qu’en effet il était devenu fort petit, mince et agile, ce qui expliquait au demeurant qu’il pût courir des heures durant et monter aux arbres. Et il n’eut pas non plus de mal à se glisser dans un fourré et à échapper au garde-chasse encombré par sa taille et son ventre.

Quand on approche de Chamour, on passe à proximité du cimetière. Or le petit Nabou se trouva arrêté en cet endroit par une grande et brillante foule qui entourait un splendide corbillard, tiré par six chevaux noirs, bêtes magnifiques, empanachées de duvet sombre et caparaçonnées de larmes d’argent.

Il demanda plusieurs fois qui donc on enterrait, mais toujours les gens haussaient les épaules et refusaient de lui répondre, comme si sa question avait été par trop stupide. Il remarqua simplement que le corbillard portait des écussons sur lesquels il y avait un N surmonté d’une couronne. Finalement il se réfugia dans une chapelle mortuaire située à l’autre bout du cimetière, il posa le nid à côté de lui, et, à bout de force, il s’endormit sur une pierre tombale.

Le soleil était déjà chaud quand il reprit le lendemain la route de Chamour. Il eut la surprise de trouver la grande porte fermée, ce qui était bien étonnant à cette heure du jour. Il fallait que les habitants attendissent un événement important ou un visiteur de marque, car c’était dans ces circonstances exceptionnelles qu’on fermait et qu’on ouvrait solennellement la grande porte de la ville. Il se tenait ainsi, curieux et indécis, devant le haut portail, tenant toujours le nid blanc dans ses mains, quand tout à coup l’œuf doré qu’il contenait se fendit en morceaux, et un petit oiseau blanc en sortit. Et ce petit oiseau blanc chantait d’une voix claire et intelligible : « Vive le roi ! Vive notre nouveau roi Nabounassar IV ! »

Alors lentement la lourde porte tourna sur ses gonds et s’ouvrit à deux battants. Un tapis rouge avait été déroulé depuis le seuil jusqu’aux marches du palais. Une foule en liesse se massait à droite et à gauche, et comme l’enfant au nid s’avançait, tout le monde reprit l’acclamation de l’oiseau, en criant : « Vive le roi ! Vive notre nouveau roi Nabounassar IV ! »

Le règne de Nabounassar IV fut long, paisible et prospère. Deux reines se succédèrent à ses côtés sans qu’aucune donnât un dauphin au royaume. Mais le roi, qui se souvenait d’une certaine escapade dans la forêt à la suite d’un oiseau blanc voleur de barbe, ne se faisait aucun souci pour sa succession. Jusqu’au jour où, les années passant, ce souvenir commença à s’effacer de sa mémoire. C’était à l’époque où une belle barbe d’or peu à peu lui couvrait le menton et les joues.

Hérode le grand

Hérode avait ri à plusieurs reprises en entendant ce petit conte, et tous les ministres et courtisans avaient ri docilement avec lui, de telle sorte que l’atmosphère était fort détendue, et que Sangali se trouvait rassuré au sujet de ses oreilles. Il saluait jusqu’à terre, plaquant en guise de remerciement un accord sur son luth chaque fois qu’une bourse tombait à ses pieds. Quand il s’éloigna, un vaste sourire illuminait sa face poupine.

Mais le rire sied mal à Hérode. Son corps torturé par les cauchemars et les maladies ne supporte pas cette sorte de spasme. Cramponné au triclinium, il se courbe vers le sol dallé dans une convulsion douloureuse. On s’empresse en vain autour de lui. Irrésistiblement des supputations se glissent dans les esprits : et si le despote allait mourir ? Quelle succession chaotique ne laisserait-il pas derrière lui, avec ses dix femmes et ses enfants dispersés aux quatre coins du monde ! La succession… C’était le sujet imposé à Sangali par le roi lui-même. Preuve qu’il ne cesse d’y penser. Le voilà maintenant qui ouvre la bouche et qui râle, les yeux fermés. Un haut-le-corps le soulève. Il vomit sur les dalles une mixture qui évoque l’essentiel du festin. On se garde de glisser un bassin sous sa bouche. Ce serait faire insulte à la majesté de ce vomis royal dont personne n’a le droit de se détourner. Il relève un visage livide, marbré de vert et inondé de sueur. Il veut parler.