Quelle loi ? Comment la formuler ? Considérons l’éventualité que je viens d’évoquer : je vous avertis, ton père le roi Théodène et toi-même, que le prince Atmar a tout mis en place pour te faire assassiner dès que la mort du roi surviendra. La révélation est peut-être vraie, peut-être fausse. Il est impossible, tu m’entends, impossible, de la vérifier. C’est un luxe que ton père et toi vous ne pouvez vous offrir. Il faut réagir, et vite. Comment ? En frappant les premiers. En faisant assassiner Atmar. C’est cela la loi du pouvoir : frapper le premier au moindre doute. Je m’y suis toujours strictement tenu. Loi terrible, qui a fait un vide macabre autour de moi. Le résultat, eh bien, il est double, si tu veux considérer ma vie. Je suis le roi d’Orient le plus ancien, le plus riche, le plus bénéfique à son peuple. Et en même temps, je suis l’homme le plus malheureux du monde, l’ami le plus trahi, le mari le plus bafoué, le père le plus défié, le despote le plus haï de l’histoire.

Il se tait un moment, et lorsqu’il reprend la parole, c’est d’une voix imperceptible qui oblige les convives à tendre l’oreille.

— L’être au monde que j’ai le plus aimé s’appelait Mariamme. Je ne parle pas de la fille du grand prêtre Simon que j’ai épousée en troisièmes noces pour la seule raison qu’elle s’appelait aussi Mariamme. Non, je veux dire la première, la seule, l’unique femme de ma vie. J’étais ardent et jeune. Je courais de succès en succès. Quand le drame a éclaté, je venais de résoudre à mon avantage la situation la plus diaboliquement embrouillée que j’aie jamais connue.

Treize ans après l’assassinat de Jules César, la rivalité d’Octave et d’Antoine pour la possession du monde était devenue mortelle. Ma raison m’inclinait vers Octave, maître de Rome. Ma position géographique, parce qu’elle faisait de moi le voisin et l’allié de Cléopâtre, reine d’Égypte, me jeta dans les bras d’Antoine. J’avais levé une armée, et je volais à son aide contre Octave, quand Cléopâtre, inquiète de me voir grandir aux yeux d’Antoine, dont elle prétendait accaparer la faveur à mes dépens, m’empêcha d’intervenir. Elle m’obligea à tourner mes troupes une fois de plus contre son vieil ennemi, le roi des Arabes Malchus. En manœuvrant contre moi, elle me sauva. Car le 2 septembre [7], Octave écrasait Antoine près d’Actium sur la côte grecque. Tout était perdu pour Antoine, Cléopâtre et leurs alliés. Tout l’aurait été pour moi, si j’avais pu me jeter au côté d’Antoine, comme je l’avais voulu. Il ne me restait plus qu’à opérer un retournement qui demeurait assez délicat. Je commençai par aider le gouverneur romain de Syrie à réduire à merci une armée de gladiateurs dévoués à Antoine qui s’efforçait de le rejoindre en Égypte où il avait fui. Puis je me rendis dans l’île de Rhodes où séjournait Octave. Je ne cherchai pas à lui donner le change.