Je me présentai au contraire comme l’ami fidèle d’Antoine, ayant tout donné pour l’aider – argent, vivres, troupes, mais surtout conseils, bons conseils : abandonner Cléopâtre qui le menait à sa ruine, et même la faire assassiner. Hélas, Antoine, aveuglé par sa passion, n’avait pas voulu m’entendre ! Puis je déposai mon diadème royal aux pieds d’Octave, et je lui dis qu’il pouvait certes me traiter en ennemi, me déposer, me faire périr, ce serait justice, j’accepterais toutes ses décisions sans murmurer. Mais il pouvait au contraire accepter mon amitié, laquelle serait aussi fidèle, lucide et efficace qu’elle l’avait été pour Antoine.

Jamais je n’ai joué aussi gros. Pendant un instant, devant le futur Auguste, stupéfait de mon audace et encore indécis, j’ai oscillé entre la mort ignominieuse et le triomphe. Octave prit mon diadème et le posa sur ma tête en disant : « Reste roi, et deviens mon ami, puisque tu attaches un si haut prix à l’amitié. Et pour sceller notre alliance, je te donne la garde personnelle de quatre cents Gaulois de Cléopâtre. » Peu de temps après nous apprenions qu’Antoine et la reine d’Égypte s’étaient donné la mort afin de ne pas figurer dans le triomphe d’Octave.

Je pouvais croire l’avenir assuré après un retour de fortune aussi éclatant. Hélas, j’allais le payer au contraire par les pires malheurs domestiques !

À l’origine de ces malheurs, il faut bien placer au premier chef mon amour pour Mariamme. C’est le noir soleil qui éclaire toute cette tragédie et permet seul de la comprendre. En me rendant auprès d’Octave, je savais que je jouais ma liberté et ma vie avec fort peu de chances d’en réchapper. Je laissais quatre femmes derrière moi : ma mère Cypros, et ma sœur Salomé, la reine Mariamme et sa mère Alexandra. Il s’agissait en vérité de deux clans opposés qui s’exécraient, le clan iduméen, dont je suis issu, et les survivants de la dynastie asmonéenne. Il fallait empêcher ces quatre femmes de s’entredéchirer en mon absence. Avant de m’embarquer pour Rhodes, j’expédiai donc Mariamme dans la forteresse d’Alexandrion avec sa mère, cependant que j’enfermai ma mère, Salomé, mes trois fils et mes deux filles dans celle de Massada. Puis je donnai au gouverneur militaire d’Alexandrion, Soème, l’ordre secret de mettre à mort Mariamme, s’il venait à recevoir la nouvelle de ma propre disparition. Mon cœur et ma raison s’accordaient pour me dicter cette mesure extrême. En effet, je ne pouvais supporter l’idée que ma chère Mariamme puisse me survivre et, éventuellement, épouser un autre homme. D’autre part, moi disparu, plus rien n’empêcherait le clan asmonéen, avec Mariamme à sa tête, de reprendre le pouvoir, et de le garder quoi qu’il en coûte.

Retour de Rhodes, auréolé de mon succès, je rassemblai tout ce joli monde à Jérusalem, convaincu que mon bonheur politique emporterait une réconciliation générale. Il s’agissait bien de cela ! Dès le premier instant, je me heurtai à des visages grimaçants de haine. Ma sœur Salomé promenait un orage noir de sous-entendus et de révélations dévastatrices qu’elle se promettait de faire crever le moment venu sur la tête de Mariamme. Celle-ci me traitait de haut, se refusait à tout contact avec moi, alors que notre séparation et les menaces auxquelles j’avais échappé avaient exaspéré mon amour pour elle. Elle faisait même sans cesse des allusions mesquines à une vieille affaire, la mort de son grand-père Hyrcan que j’avais dû jadis susciter. Peu à peu le mystère se dissipa, et je compris ce qui s’était passé en mon absence. La vérité, c’est que toutes ces femmes avaient échafaudé des combinaisons en fonction de ma disparition qui leur avait paru probable. Elles n’étaient pas les seules. Soème, le gouverneur d’Alexandrion, pour s’assurer la faveur de Mariamme, future régente du royaume de Judée, lui avait révélé l’ordre qu’il avait reçu d’avoir à l’exécuter s’il m’arrivait malheur. Il fallut tout remettre en ordre. La tête de Soème fut la première qui roula dans la sciure. Ce n’était qu’un petit commencement. Mon grand échanson demanda une audience secrète. Il se présenta avec un flacon de vin aromatisé.