J’y fus, moins par piété fraternelle, on s’en doute, que pour éclaircir une situation qui me paraissait obscure. Le fait est que Phéroras mourut dans mes bras en jurant qu’on l’avait empoisonné. Cela paraît peu probable. Qui aurait eu intérêt à le faire disparaître ? Assurément pas sa femme, ancienne esclave qui perdait tout en le perdant. Ce fut elle au demeurant qui vendit la mèche. Au cours des réunions nocturnes organisées à mon insu par Antipater et Phéroras, on avait décidé de faire venir une empoisonneuse d’Arabie avec tout ce qu’il fallait pour se débarrasser de moi et des enfants d’Alexandre et d’Aristobule. Quand Antipater et Phéroras s’étaient séparés, ce dernier avait conservé la fiole de poison avec l’intention d’en user, cependant qu’Antipater serait à Rome à l’abri de tout soupçon. J’ordonnai à la femme de Phéroras d’aller quérir le poison. Elle feignit d’obéir, mais alla se jeter du haut d’une terrasse pour s’ôter la vie. Elle ne mourut pas cependant, et on me la ramena grièvement blessée. Cependant on retrouvait la fiole de poison : elle était presque vide. La malheureuse m’expliqua qu’elle-même l’avait vidée dans le feu sur ordre de Phéroras que ma visite avait ému et qui renonçait ainsi à me faire périr. Ce n’est pas à Hérode qu’on fait croire ce genre de conte édifiant. Seule la culpabilité majeure d’Antipater se dégageait à l’évidence de ce fatras. Elle fut définitivement établie quand j’interceptai une lettre de lui envoyée de Rome à Phéroras. Il lui demandait si « l’affaire était conclue », et joignait une dose de poison « en cas de besoin ». Je fis en sorte que rien ne lui parvint de la mort de Phéroras et de ma présence à Pérée.

Il revint sans méfiance à Jérusalem que j’avais regagnée, et aussitôt me couvrit de caresses en me racontant l’heureuse issue du procès de Syllaeus, confondu et condamné. Aussitôt je le repoussai en lui jetant à la face la mort de son oncle, et la découverte de tout le complot. Il tomba à mes pieds en me jurant qu’il était innocent de tout. Je le fis conduire en prison. Puis, comme toujours lorsque l’amertume de la trahison de mes proches me submerge, je fus terrassé par la maladie. Je ne saurais dire combien de temps dura ma prostration. J’étais hors d’état de prêter la moindre attention aux résultats de l’enquête que poursuivait à ma demande Quintilius Varus, gouverneur romain de Syrie. Un jour on m’apporta une corbeille de fruits. Je ne vis que le couteau d’argent destiné à fendre les mangues et à peler les ananas. Je le manipulai un moment, jouissant de la lame effilée, du manche qui épousait parfaitement la paume de la main, de l’équilibre heureux établi entre l’un et l’autre. Un bel objet en vérité, racé, élégant, parfaitement adapté à sa fonction. Quelle fonction ? Celle d’éplucher les pommes ? Allons donc ! Celle plutôt de faire mourir les rois désespérés. D’un seul coup j’enfonçai la lame dans ma poitrine, du côté gauche. Le sang jaillit.