Quelquefois son père venait le chercher. En voiture et une heure avant la fin de la classe. Le lendemain il apportait un certificat du médecin de famille.
Parfois, pourtant, on eût dit qu’il aspirait à avoir un ami. Mais il ne s’en donnait jamais les moyens. Toujours sa richesse s’interposait entre lui et les autres. « Viens cet après-midi chez moi, quand mon précepteur sera là, il nous fera nos devoirs à tous les deux », avait-il beau dire parfois. Mais presque jamais personne ne venait. Il avait dit, en appuyant : « mon précepteur »…
Il apprenait facilement et devinait beaucoup. Il lisait avec application. Son père lui avait aménagé une bibliothèque et disait parfois, bien que ce fût superflu : « La bibliothèque de mon fils… » ou bien, s’adressant à la servante, et bien qu’on sût qu’il n’y en avait pas d’autre : « Anna, allez à la bibliothèque de mon fils ! » Un jour, Paul essaya de faire le portrait de son père d’après une photographie. « Mon fils a un talent tout à fait surprenant ! » dit le vieux Bernheim – et il acheta des albums à croquis, des crayons de couleur, des toiles, des pinceaux, de l’huile, engagea un professeur et entreprit de transformer une partie du grenier en atelier.
Deux fois par semaine, le soir, entre cinq et sept heures, Paul s’exerçait au piano en compagnie de sa sœur. On les entendait jouer à quatre mains, quand on passait à côté de la maison : c’était toujours du Tchaïkovski. Quelquefois quelqu’un lui disait le lendemain : « Je t’ai entendu hier jouer à quatre mains. – Oui, répondait-il, avec ma sœur. Elle joue bien mieux que moi. » Et tous enrageaient en entendant ce petit mot.
Ses parents l’emmenaient avec eux au concert. Il fredonnait ensuite les mélodies, citait des œuvres, des compositeurs, parlait de salles de concert, de chefs d’orchestre qu’il se plaisait à imiter. Pendant les vacances d’été, il partait pour le vaste monde en compagnie de son précepteur, « afin, disait-on, de ne rien oublier ». Il traversait les montagnes et les mers, abordait à des côtes sauvages, revenait fier et silencieux et se contentait d’allusions dédaigneuses, comme s’il supposait chez tous une connaissance du monde. Il avait de l’expérience. Tout ce qu’il lisait et entendait, il l’avait déjà vu et entendu. Son cerveau agile créait des associations. De la bibliothèque, il tirait de vains détails dont il se servait pour éblouir. La fiche sur laquelle il notait ses « lectures personnelles » était la plus complète qui pût être. On lui « pardonnait » sa nonchalance. Elle ne jetait aucune ombre sur son « comportement moral ». Il fut admis qu’une maison comme celle des Bernheim offrait une garantie suffisante pour les bonnes mœurs. Les maîtres récalcitrants, le père de Paul savait les amadouer en les invitant à de « modestes dîners ». Ils s’en retournaient dans leurs médiocres demeures, impressionnés par le spectacle des parquets, des tableaux, du personnel et de la jolie fille.
Les filles, elles, ne pouvaient en rien impressionner Paul Bernheim. Il devint avec le temps un danseur agile, un partenaire agréable pour la conversation, un sportif dûment rompu aux exercices physiques. Avec les mois et les années, ses goûts et ses talents changèrent.
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