Il a cru que je continuais le mur parce que je reste immobile et que j’ai un paletot couleur de muraille. Ça flatte tout de même.

 

 

II

 

Le mur : Je ne sais quel frisson me passe sur le dos.

Le lézard : C’est moi.

 

 

Le lézard vert

 

Prenez garde à la peinture !

 

 

La couleuvre

 

De quel ventre est-elle tombée, cette colique ?

 

 

La belette

 

Pauvre, mais propre, distinguée, elle passe et repasse, par petits bonds, sur la route, et va, d’un fossé à l’autre, donner, de trou en trou, ses leçons au cachet.

 

 

Le hérisson

 

Essuyez votre... S.V.P.

 

« Il faut me prendre comme je suis et ne pas trop serrer. »

 

 

Le serpent

 

I

 

Trop long.

 

 

II

 

La dix millionième partie du quart du méridien terrestre.

 

 

Le ver

 

En voilà un qui s’étire et qui s’allonge comme une belle nouille.

 

 

Les grenouilles

 

Par brusques détentes, elles exercent leurs ressorts.

Elles sautent de l’herbe comme de lourdes gouttes d’huile frite.

Elles se posent, presse-papiers de bronze, sur les larges feuilles du nénuphar.

L’une se gorge d’air. On mettrait un sou, par sa bouche, dans la tirelire de son ventre.

Elles montent, comme des soupirs, de la vase.

Immobiles, elles semblent, les gros yeux à fleur d’eau, les tumeurs de la mare plate.

Assises en tailleur, stupéfiées, elles bâillent au soleil couchant.

Puis, comme les camelots assourdissants des rues, elles crient les dernières nouvelles du jour.

Il y aura réception chez elles ce soir ; les entendez-vous rincer leurs verres ?

Parfois, elles happent un insecte.

Et d’autres ne s’occupent que d’amour.

Et toutes, elles tentent le pêcheur à la ligne.

Je casse, sans difficulté, une gaule. J’ai, piquée à mon paletot, une épingle que je recourbe en hameçon.

La ficelle ne me manque pas.

Mais il me faudrait encore un brin de laine, un bout de n’importe quoi rouge.

Je cherche sur moi, par terre, au ciel.

Je ne trouve rien et je regarde mélancoliquement ma boutonnière fendue, toute prête, que, sans reproche, on ne se hâte guère d’orner du ruban rouge.

 

 

Le crapaud

 

Né d’une pierre, il vit sous une pierre et s’y creusera un tombeau.

Je le visite fréquemment, et chaque fois que je lève sa pierre, j’ai peur de le retrouver et peur qu’il n’y soit plus.

Il y est.

Caché dans ce gîte sec, propre, étroit, bien à lui, il l’occupe pleinement, gonflé comme une bourse d’avare.

Qu’une pluie le fasse sortir, il vient au-devant de moi. Quelques sauts lourds, et il me regarde de ses yeux rougis.

Si le monde injuste le traite en lépreux, je ne crains pas de m’accroupir près de lui et d’approcher du sien mon visage d’homme.

Puis je dompterai un reste de dégoût, et je te caresserai de ma main, crapaud !

On en avale dans la vie qui font plus mal au coeur.

Pourtant, hier, j’ai manqué de tact. Il fermentait et suintait, toutes ses verrues crevées.

« Mon pauvre ami, lui dis-je, je ne veux pas te faire de peine, mais, Dieu ! que tu es laid ! »

Il ouvrit sa bouche puérile et sans dents, à l’haleine chaude, et me répondit avec un léger accent anglais :

« Et toi ? »

 

 

La sauterelle

 

Serait-ce le gendarme des insectes ?

Tout le jour, elle saute et s’acharne aux trousses d’invisibles braconniers qu’elle n’attrape jamais.

Les plus hautes herbes ne l’arrêtent pas.

Rien ne lui fait peur, car elle a des bottes de sept lieues, un cou de taureau, le front génial, le ventre d’une carène, des ailes en celluloïd, des cornes diaboliques et un grand sabre au derrière.

Comme on ne peut avoir les vertus d’un gendarme sans les vices, il faut bien le dire, la sauterelle chique.

Si je mens, poursuis-la de tes doigts, joue avec elle à quatre coins, et quand tu l’auras saisie, entre deux bonds, sur une feuille de luzerne, observe sa bouche : par ses terribles mandibules, elle sécrète une mousse noire comme du jus de tabac.

Mais déjà tu ne la tiens plus. Sa rage de sauter la reprend. Le monstre vert t’échappe d’un brusque effort et, fragile, démontable, te laisse une petite cuisse dans la main.

 

 

Le grillon

 

C’est l’heure où, las d’errer, l’insecte nègre revient de promenade et répare avec soin le désordre de son domaine.

D’abord il ratisse ses étroites allées de sable.

Il fait du bran de scie qu’il écarte au seuil de sa retraite.

Il lime la racine de cette grande herbe propre à le harceler.

Il se repose.

Puis il remonte sa minuscule montre.

A-t-il fini ? Est-elle cassée ? Il se repose encore un peu.

Il rentre chez lui et ferme sa porte.

Longtemps il tourne sa clé dans la serrure délicate.

Et il écoute :

Point d’alarme dehors.

Mais il ne se trouve pas en sûreté.

Et comme par une chaînette dont la poulie grince, il descend jusqu’au fond de la terre.

On n’entend plus rien.

Dans la campagne muette, les peupliers se dressent comme des doigts en l’air et désignent la lune.

 

 

Le cafard

 

Noir et collé comme un trou de serrure.

 

 

Le ver luisant

 

I

 

Que se passe-t-il ? Neuf heures du soir et il y a encore de la lumière chez lui.

 

 

II

 

Cette goutte de lune dans l’herbe !

 

 

L’araignée

 

I

 

Une petite main noire et poilue crispée sur des cheveux.

 

 

II

 

Toute la nuit, au nom de la lune, elle appose ses scellés.

 

 

Le hanneton

 

I

 

Un bourgeon tardif s’ouvre et s’envole du marronnier.

 

 

II

 

Plus lourd que l’air, à peine dirigeable, têtu et ronchonnant, il arrive tout de même au but, avec ses ailes en chocolat.

 

 

Les fourmis

 

I

 

Chacune d’elles ressemble au chiffre 3.

Et il y en a ! il y en a !

Il y en a 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3... jusqu’à l’infini.

 

 

II

 

La fourmi et le perdreau

 

Une fourmi tombe dans une ornière où il a plu et elle va se noyer, quand un perdreau, qui buvait, la pince du bec et la sauve.

« Je vous la revaudrai, dit la fourmi.

– Nous ne sommes plus, répond le perdreau sceptique, au temps de La Fontaine. Non que je doute de votre gratitude, mais comment piqueriez-vous au talon le chasseur prêt à me tuer ! Les chasseurs aujourd’hui ne marchent point pieds nus. »

La fourmi ne perd pas sa peine à discuter et elle se hâte de rejoindre ses soeurs qui suivent toutes le même chemin, semblables à des perles noires qu’on enfile.

Or, le chasseur n’est pas loin.

Il se reposait, sur le flanc, à l’ombre d’un arbre. Il aperçoit le perdreau piétant et picotant à travers le chaume. Il se dresse et veut tirer, mais il a des fourmis dans le bras droit. Il ne peut lever son arme. Le bras retombe inerte et le perdreau n’attend pas qu’il se dégourdisse.

 

 

L’escargot

 

I

 

Casanier dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l’escargot bout comme un nez plein.

Il se promène dès les beaux jours, mais il ne sait marcher que sur la langue.

 

 

II

 

Mon petit camarade Abel jouait avec ses escargots.

Il en élève une pleine boîte et il a soin, pour les reconnaître, de numéroter au crayon la coquille.

S’il fait trop sec, les escargots dorment dans la boîte. Dès que la pluie menace, Abel les aligne dehors, et si elle tarde à tomber, il les réveille en versant dessus un pot d’eau. Et tous, sauf les mères qui couvent, dit-il, au fond de la boîte, se promènent sous la garde d’un chien appelé Barbare et qui est une lame de plomb qu’Abel pousse du doigt.

Comme je causais avec lui du mal que donne leur dressage, je m’aperçus qu’il me faisait signe que non, même quand il me répondait oui.

« Abel, lui dis-je, pourquoi ta tête remue-t-elle ainsi de droite et de gauche ?

– C’est mon sucre, dit Abel.

– Quel sucre ?

– Tiens, là. »

Tandis qu’à quatre pattes il ramenait le numéro 8 près de s’égarer, je vis au cou d’Abel, entre la peau et la chemise, un morceau de sucre qui pendait à un fil, comme une médaille.

« Maman me l’attache, dit-il, quand elle veut me punir.

– Ça te gêne ?

– Ça gratte.

– Et ça cuit, hein ! c’est tout rouge.

– Mais quand elle me pardonne, dit Abel, je le mange. »

 

 

La chenille

 

Elle sort d’une touffe d’herbe qui l’avait cachée pendant la chaleur. Elle traverse l’allée de sable à grandes ondulations. Elle se garde d’y faire halte et un moment elle se croit perdue dans une trace de sabot du jardinier.

Arrivée aux fraises, elle se repose, lève le nez de droite et de gauche pour flairer ; puis elle repart et sous les feuilles, sur les feuilles, elle sait maintenant où elle va.

Quelle belle chenille, grasse, velue, fourrée, brune avec des points d’or et ses yeux noirs !

Guidée par l’odorat, elle se trémousse et se fronce comme un épais sourcil.

Elle s’arrête au bas d’un rosier.

De ses fines agrafes, elle tâte l’écorce rude, balance sa petite tête de chien nouveau-né et se décide à grimper.

Et, cette fois, vous diriez qu’elle avale péniblement chaque longueur de chemin par déglutition.

Tout en haut du rosier, s’épanouit une rose au teint de candide fillette. Ses parfums qu’elle prodigue la grisent. Elle ne se défie de personne. Elle laisse monter par sa tige la première chenille venue. Elle l’accueille comme un cadeau.

Et, pressentant qu’il fera froid cette nuit, elle est bien aise de se mettre un boa autour du cou.

 

 

La puce

 

Un grain de tabac à ressort.

 

 

Le papillon

 

Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur.

 

 

La guêpe

 

Elle finira pourtant par s’abîmer la taille !

 

 

La demoiselle

 

Elle soigne son ophtalmie.

D’un bord à l’autre de la rivière, elle ne fait que tremper dans l’eau fraîche ses yeux gonflés.

Et elle grésille, comme si elle volait à l’électricité.

 

 

L’écureuil

 

I

 

Du panache ! du panache ! oui, sans doute ; mais, mon petit ami, ce n’est pas là que ça se met.

 

 

II

 

Leste allumeur de l’automne, il passe et repasse sous les feuilles la petite torche de sa queue.

 

 

La souris

 

Comme, à la clarté d’une lampe, je fais ma quotidienne page d’écriture, j’entends un léger bruit. Si je m’arrête, il cesse. Il recommence, dès que je gratte le papier.

C’est une souris qui s’éveille.

Je devine ses va-et-vient au bord du trou obscur où notre servante met ses torchons et ses brosses.

Elle saute par terre et trotte sur les carreaux de la cuisine. Elle passe près de la cheminée, sous l’évier, se perd dans la vaisselle, et par une série de reconnaissances qu’elle pousse de plus en plus loin, elle se rapproche de moi.

Chaque fois que je pose mon porte-plume, ce silence l’inquiète. Chaque fois que je m’en sers, elle croit peut-être qu’il y a une autre souris quelque part, et elle se rassure.

Puis je ne la vois plus. Elle est sous ma table, dans mes jambes. Elle circule d’un pied de chaise à l’autre. Elle frôle mes sabots, en mordille le bois, ou hardiment, la voilà dessus !

Et il ne faut pas que je bouge la jambe, que je respire trop fort : elle filerait.

Mais il faut que je continue d’écrire, et de peur qu’elle ne m’abandonne à mon ennui de solitaire, j’écris des signes, des riens, petitement, menu, menu, comme elle grignote.

 

 

Singes

 

Allez voir les singes (maudits gamins, ils ont tout déchiré leur fond de culotte !) grimper, danser au soleil neuf, se fâcher, se gratter, éplucher des choses, et boire avec une grâce primitive, tandis que de leurs yeux, troubles parfois, mais pas longtemps, s’échappent des lueurs vite éteintes.

Allez voir les flamants qui marchent sur des pincettes, de peur de mouiller, dans l’eau du bassin, leurs jupons roses ; les cygnes et la vaniteuse plomberie de leur col ; l’autruche, ses ailes de poussin, et sa casquette de chef de gare responsable ; les cigognes qui haussent tout le temps les épaules (à la fin, ça ne signifie plus rien) ; le marabout frileux dans sa pauvre jaquette, les pingouins en macfarlane ; le pélican qui tient son bec comme un sabre de bois, et les perruches, dont les plus apprivoisées le sont moins que leur gardien lui-même qui finit par nous prendre une pièce de dix sous dans la main.

Allez voir le yack lourd de pensées préhistoriques ; la girafe qui nous montre, par-dessus les barreaux de la grille, sa tête au bout d’une pique ; l’éléphant qui traîne ses chaussons devant sa porte, courbé, le nez bas : il disparaît presque dans le sac d’une culotte trop remontée, et, derrière, un petit bout de corde pend.

Allez donc voir le porc-épic garni de porte-plume bien gênants pour lui et son amie ; le zèbre, modèle à transparent de tous les autres zèbres ; la panthère descendue au pied de son lit ; l’ours qui nous amuse et ne s’amuse guère, et le lion qui bâille, à nous faire bâiller.

 

 

Le cerf

 

J’entrai au bois par un bout de l’allée, comme il arrivait par l’autre bout.

Je crus d’abord qu’une personne étrangère s’avançait avec une plante sur la tête.

Puis je distinguai le petit arbre nain, aux branches écartées et sans feuilles.

Enfin le cerf apparut net et nous nous arrêtâmes tous deux.

Je lui dis :

« Approche.