Vous n’avez point encor de part à nos misères : Le ciel vous a sauvé votre époux et vos frères ; Si nous sommes sujets, c’est de votre pays ; Vos frères sont vainqueurs quand nous sommes trahis ; Et voyant le haut point où leur gloire se monte, Vous regardez fort peu ce qui nous vient de honte.
Mais votre trop d’amour pour cet infâme époux Vous donnera bientôt à plaindre comme à nous.
Vos pleurs en sa faveur sont de faibles défenses : J’atteste des grands dieux les suprêmes puissances Qu’avant ce jour fini, ces mains, ces propres mains Laveront dans son sang la honte des Romains.
SABINE: Suivons-le promptement, la colère l’emporte.
Dieux ! Verrons-nous toujours des malheurs de la sorte ?
Nous faudra-t-il toujours en craindre de plus grands, Et toujours redouter la main de nos parents ?
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ACTE IV
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Scène I
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LE VIEIL HORACE: Ne me parlez jamais en faveur d’un infâme ; Qu’il me fuie à l’égal des frères de sa femme : Pour conserver un sang qu’il tient si précieux, Il n’a rien fait encor s’il n’évite mes yeux.
Sabine y peut mettre ordre, ou derechef j’atteste Le souverain pouvoir de la troupe céleste...
CAMILLE: Ah ! Mon père, prenez un plus doux sentiment ; Vous verrez Rome même en user autrement ; Et de quelque malheur que le ciel l’ait comblée, Excuser la vertu sous le nombre accablée.
LE VIEIL HORACE: Le jugement de Rome est peu pour mon regard, Camille ; je suis père, et j’ai mes droits à part.
Je sais trop comme agit la vertu véritable : C’est sans en triompher que le nombre l’accable ; Et sa mâle vigueur, toujours en même point, Succombe sous la force, et ne lui cède point.
Taisez-vous, et sachons ce que nous veut Valère.
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Scène II
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VALÈRE: Envoyé par le roi pour consoler un père, Et pour lui témoigner...
LE VIEIL HORACE: N’en prenez aucun soin : C’est un soulagement dont je n’ai pas besoin ; 38
Et j’aime mieux voir morts que couverts d’infamie Ceux que vient de m’ôter une main ennemie.
Tous deux pour leur pays sont morts en gens d’honneur ; Il me suffit.
VALÈRE: Mais l’autre est un rare bonheur ; De tous les trois chez vous il doit tenir la place.
LE VIEIL HORACE: Que n’a-t-on vu périr en lui le nom d’Horace !
VALÈRE: Seul vous le maltraitez après ce qu’il a fait.
LE VIEIL HORACE: C’est à moi seul aussi de punir son forfait.
VALÈRE: Quel forfait trouvez-vous en sa bonne conduite ?
LE VIEIL HORACE: Quel éclat de vertu trouvez-vous en sa fuite ?
VALÈRE: La fuite est glorieuse en cette occasion.
LE VIEIL HORACE: Vous redoublez ma honte et ma confusion.
Certes, l’exemple est rare et digne de mémoire, De trouver dans la fuite un chemin à la gloire.
VALÈRE: Quelle confusion, et quelle honte à vous D’avoir produit un fils qui nous conserve tous, Qui fait triompher Rome, et lui gagne un empire ?
À quels plus grands honneurs faut-il qu’un père aspire ?
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LE VIEIL HORACE: Quels honneurs, quel triomphe, et quel empire enfin, Lorsqu’Albe sous ses lois range notre destin ?
VALÈRE: Que parlez-vous ici d’Albe et de sa victoire ?
Ignorez-vous encor la moitié de l’histoire ?
LE VIEIL HORACE: Je sais que par sa fuite il a trahi l’état.
VALÈRE: Oui, s’il eût en fuyant terminé le combat ; Mais on a bientôt vu qu’il ne fuyait qu’en homme Qui savait ménager l’avantage de Rome.
LE VIEIL HORACE: Quoi, Rome donc triomphe !
VALÈRE: Apprenez, apprenez
La valeur de ce fils qu’à tort vous condamnez.
Resté seul contre trois, mais en cette aventure Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure, Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d’eux, Il sait bien se tirer d’un pas si dangereux ; Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse Divise adroitement trois frères qu’elle abuse.
Chacun le suit d’un pas ou plus ou moins pressé, Selon qu’il se rencontre ou plus ou moins blessé ; Leur ardeur est égale à poursuivre sa fuite ; Mais leurs coups inégaux séparent leur poursuite.
Horace, les voyant l’un de l’autre écartés, Se retourne, et déjà les croit demi-domptés : Il attend le premier, et c’était votre gendre.
L’autre, tout indigné qu’il ait osé l’attendre, En vain en l’attaquant fait paraître un grand cœur ; Le sang qu’il a perdu ralentit sa vigueur.
Albe à son tour commence à craindre un sort contraire ; Elle crie au second qu’il secoure son frère : Il se hâte et s’épuise en efforts superflus ; 40
Il trouve en les joignant que son frère n’est plus.
CAMILLE: Hélas !
VALÈRE: Tout hors d’haleine il prend pourtant sa place, Et redouble bientôt la victoire d’Horace : Son courage sans force est un débile appui ; Voulant venger son frère, il tombe auprès de lui.
L’air résonne des cris qu’au ciel chacun envoie ; Albe en jette d’angoisse, et les Romains de joie.
Comme notre héros se voit près d’achever, C’est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver :
" j’en viens d’immoler deux aux mânes de mes frères ; Rome aura le dernier de mes trois adversaires, C’est à ses intérêts que je vais l’immoler, "
Dit-il ; et tout d’un temps on le voit y voler.
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