Quel impie osera se prendre à leur vouloir, Lorsqu’en un sacrifice ils nous l’auront fait voir ? "
Il se tait, et ces mots semblent être des charmes ; Même aux six combattants ils arrachent les armes ; Et ce désir d’honneur qui leur ferme les yeux, Tout aveugle qu’il est, respecte encor les dieux.
Leur plus bouillante ardeur cède à l’avis de Tulle ; Et soit par déférence, ou par un prompt scrupule, Dans l’une et l’autre armée on s’en fait une loi, Comme si toutes deux le connaissaient pour roi.
Le reste s’apprendra par la mort des victimes.
SABINE: Les dieux n’avoueront point un combat plein de crimes ; J’en espère beaucoup, puisqu’il est différé, Et je commence à voir ce que j’ai désiré.
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Scène III
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SABINE: Ma sœur, que je vous die une bonne nouvelle.
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CAMILLE: Je pense la savoir, s’il faut la nommer telle.
On l’a dite à mon père, et j’étais avec lui ; Mais je n’en conçois rien qui flatte mon ennui.
Ce délai de nos maux rendra leurs coups plus rudes ; Ce n’est qu’un plus long terme à nos inquiétudes ; Et tout l’allégement qu’il en faut espérer, C’est de pleurer plus tard ceux qu’il faudra pleurer.
SABINE: Les dieux n’ont pas en vain inspiré ce tumulte.
CAMILLE: Disons plutôt, ma sœur, qu’en vain on les consulte.
Ces mêmes dieux à Tulle ont inspiré ce choix ; Et la voix du public n’est pas toujours leur voix ; Ils descendent bien moins dans de si bas étages Que dans l’âme des rois, leurs vivantes images, De qui l’indépendante et sainte autorité Est un rayon secret de leur divinité.
JULIE: C’est vouloir sans raison vous former des obstacles Que de chercher leur voix ailleurs qu’en leurs oracles ; Et vous ne vous pouvez figurer tout perdu, Sans démentir celui qui vous fut hier rendu.
CAMILLE: Un oracle jamais ne se laisse comprendre : On l’entend d’autant moins que plus on croit l’entendre ; Et loin de s’assurer sur un pareil arrêt, Qui n’y voit rien d’obscur doit croire que tout l’est.
SABINE: Sur ce qui fait pour nous prenons plus d’assurance, Et souffrons les douceurs d’une juste espérance.
Quand la faveur du ciel ouvre à demi ses bras, Qui ne s’en promet rien ne la mérite pas ; Il empêche souvent qu’elle ne se déploie, Et lorsqu’elle descend, son refus la renvoie.
30
CAMILLE: Le ciel agit sans nous en ces événements, Et ne les règle point dessus nos sentiments.
JULIE: Il ne vous a fait peur que pour vous faire grâce.
Adieu : je vais savoir comme enfin tout se passe.
Modérez vos frayeurs ; j’espère à mon retour Ne vous entretenir que de propos d’amour, Et que nous n’emploierons la fin de la journée Qu’aux doux préparatifs d’un heureux hyménée.
SABINE: J’ose encor l’espérer.
CAMILLE: Moi, je n’espère rien.
JULIE: L’effet vous fera voir que nous en jugeons bien.
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Scène IV
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SABINE: Parmi nos déplaisirs souffrez que je vous blâme : Je ne puis approuver tant de trouble en votre âme ; Que feriez-vous, ma sœur, au point où je me vois, Si vous aviez à craindre autant que je le dois, Et si vous attendiez de leurs armes fatales Des maux pareils aux miens, et des pertes égales ?
CAMILLE: Parlez plus sainement de vos maux et des miens : Chacun voit ceux d’autrui d’un autre œil que les siens ; Mais à bien regarder ceux où le ciel me plonge, Les vôtres auprès d’eux vous sembleront un songe.
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La seule mort d’Horace est à craindre pour vous.
Des frères ne sont rien à l’égal d’un époux ; L’hymen qui nous attache en une autre famille Nous détache de celle où l’on a vécu fille ; On voit d’un œil divers des nœuds si différents, Et pour suivre un mari l’on quitte ses parents ; Mais si près d’un hymen, l’amant que donne un père Nous est moins qu’un époux, et non pas moins qu’un frère ; Nos sentiments entre eux demeurent suspendus, Notre choix impossible, et nos vœux confondus.
Ainsi, ma sœur, du moins vous avez dans vos plaintes Où porter vos souhaits et terminer vos craintes ; Mais si le ciel s’obstine à nous persécuter, Pour moi, j’ai tout à craindre, et rien à souhaiter.
SABINE: Quand il faut que l’un meure et par les mains de l’autre, C’est un raisonnement bien mauvais que le vôtre.
Quoique ce soient, ma sœur, des nœuds bien différents, C’est sans les oublier qu’on quitte ses parents : L’hymen n’efface point ces profonds caractères ; Pour aimer un mari, l’on ne hait pas ses frères : La nature en tout temps garde ses premiers droits ; Aux dépens de leur vie on ne fait point de choix : Aussi bien qu’un époux ils sont d’autres nous-mêmes ; Et tous maux sont pareils alors qu’ils sont extrêmes.
Mais l’amant qui vous charme et pour qui vous brûlez Ne vous est, après tout, que ce que vous voulez ; Une mauvaise humeur, un peu de jalousie, En fait assez souvent passer la fantaisie ; Ce que peut le caprice, osez-le par raison, Et laissez votre sang hors de comparaison : C’est crime qu’opposer des liens volontaires À ceux que la naissance a rendus nécessaires.
Si donc le ciel s’obstine à nous persécuter, Seule j’ai tout à craindre, et rien à souhaiter ; Mais pour vous, le devoir vous donne, dans vos plaintes, Où porter vos souhaits et terminer vos craintes.
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