Je sais avait-il dit, et quand je dis je sais avait-il dit je veux dire que c’est comme ça c’est tout. Et j’aime, avait-il dit à Ida, j’aime quand j’ai quelque chose à dire que ce soit à haute voix.
Je sais avait-il dit. Je vous connais avait-il dit, et non seulement il l’avait dit à Ida mais il l’avait dit à tout le monde, il connaissait Ida disait-il fichtre oui qu’il connaissait Ida. C’est si bon avait-il dit à Ida un jour la musique douce c’est si bon.
Il lui avait raconté comment il avait été marié dans le temps et il lui avait dit : maintenant écoutez. Dans le temps j’étais marié, à l’époque où vous êtes venue dans le Connecticut je ne l’étais pas. Et vous me dites maintenant que vous allez quitter le Connecticut. La seule façon de quitter le Connecticut c’est d’en sortir, et je ne vais pas sortir du Connecticut. Écoutez-moi, avait-il dit, je ne vais pas sortir du Connecticut. Je suis officier et il se peut bien sûr qu’on m’envoie en dehors du Connecticut il y a le Massachusetts et le Rhode Island et le New Hampshire et le Vermont et le Maine mais je vais rester dans le Connecticut, croyez-moi si vous voulez je vais y rester.
Ida quitta le Connecticut et ce fut la première fois qu’Ida songea à se marier et ce fut la dernière fois qu’elle entendit quelqu’un prononcer le nom de Winnie.
Il y avait en Californie une femme qui s’appelait Eleanor Angel et qui avait un terrain et qui avait trouvé sur ce terrain de l’or et de l’argent et qui avait trouvé du platine et du radium. Elle n’avait pas trouvé de pétrole. Elle avait écrit à tout le monde et ils étaient tous excités, qui ne le serait, et ils l’avaient crue, et ils disaient que si c’était vrai c’était intéressant et ils étaient sûrs que c’était vrai.
Ida s’en était allée vivre avec cette femme.
Ida ne se décourageait jamais et sortait toujours se promener.
Tout en se promenant, elle songeait aux hommes et elle songeait aux présidents. Elle songeait à ces hommes qui sont nés comme ça et qui sont plus présidents que d’autres et elle se disait : lequel est pour moi. Elle savait qu’il devait y en avoir un pour elle un homme qui serait un président. Et elle s’asseyait parfaitement satisfaite de ne rien faire.
Asseyez-vous, lui dit quelqu’un, et elle s’assit.
Bon ce n’était pas celui-là. Il s’assit à son tour et les choses en restèrent-là.
Ida y regardait toujours à deux fois pour vérifier si c’était celui-là ou un autre, celui qu’elle avait vu ou pas, et parfois ça ne l’était pas.
Elle s’asseyait alors pas exactement pour pleurer et pas exactement pour s’asseoir mais elle s’asseyait et elle se sentait toute drôle, elle avait l’impression que c’était quelque chose tout ça et c’était ce qui toujours lui permettait de tenir.
Ida s’était vue venir, puis elle avait vu venir un homme, puis elle avait vu partir un homme, puis elle s’était vue partir.
Et pendant tout ce temps eh bien pendant tout ce temps elle disait des petites choses gentilles, elle disait ça va, elle disait mais oui.
Était-elle en train ou en auto, en avion ou tout simplement en promenade.
À choisir.
Bon peu importe elle ne faisait jamais que parler. Elle disait : oui oui j’aime être assise. Oui j’aime bouger. Oui je suis déjà venue ici. Oui c’est bien agréable ici. Oui je reviendrai. Oui je voudrais bien qu’ils se rencontrent, je les rencontre et ils me rencontrent et c’est très charmant.
Ida ne soupirait jamais, elle se contentait de se reposer. Elle se retournait un peu lorsqu’elle se reposait et disait : oui mon cher. Elle disait ça très gentiment.
C’était toute sa vie à l’époque.
Elle disait : je n’aime pas les oiseaux.
Elle aimait les oiseaux mécaniques mais pas les oiseaux naturels. Ils chantaient toujours les oiseaux naturels.
Elle s’asseyait avec son ami et ils bavardaient. Je ne suis jamais fatiguée ni jamais très alerte, disait Ida. Je change tout le temps. Je m’appelle moi-même, Ida, et ça m’effraye et je reste assise sans bouger.
Je reviendrai, lui disait son ami.
Je vous en prie disait Ida.
Les journées étaient des plus tranquilles mais Ida y était préparée.
Ida avait épousé Frank Arthur.
Arthur était né en plein cœur d’un grand pays.
Il savait déjà quand il était un tout petit garçon que la terre était ronde et plus rien ne le surprenait. Il savait que les arbres avaient des feuilles vertes et quand venait la saison des neiges qu’il y avait de la neige et quand venait la saison des pluies qu’il y avait de la pluie. Il en savait long.
Arthur quand il était petit avait connu un beau garçon grand et mince qui avait un pied-bot et qui travaillait chez un fermier.
Le garçon au pied-bot allait à bicyclette il restait debout appuyé à sa bicyclette et racontait tout à Arthur.
Il lui racontait tout sur les chiens.
Il lui racontait comment les petits chiens, dès qu’ils ont découvert ça, se mettaient à faire l’amour avec n’importe quoi, la patte arrière d’un gros chien, le pied d’une table, n’importe quoi, il lui racontait comment la voix d’un jeune chien de chasse pouvait muer, elle se fêlait exactement comme celle des jeunes garçons et puis elle montait et redescendait et puis elle finissait par se fixer. Il lui parlait des chiens de berger, il lui racontait comment les bergers ne pouvaient les faire travailler que pendant huit ans comment le berger devait pendre le chien quand il avait neuf ans, comment le berger souvent était horriblement triste et pleurait tout ce qu’il savait quand il lui fallait pendre son chien pour le tuer mais passé les huit ans il ne pouvait pas le garder, ils ne s’intéressaient vraiment plus du tout aux moutons après ça et comment nourrir un chien qui ne s’intéresse plus aux moutons et les bergers pleuraient beaucoup quelquefois mais ils le pendaient quand même le chien quand il avait huit ans.
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