Elle était comme ça Ida.

Un jour, ce n’était pas un mardi, deux personnes étaient venues voir sa grande-tante. Elles étaient venues avec beaucoup de précautions. Elles n’étaient pas venues ensemble. Il en était venu une d’abord puis l’autre. L’une des deux avait des fleurs d’oranger dans la main. Ça lui avait fait une drôle d’impression à Ida. Qui étaient-elles ? Elle ne le savait pas et n’avait pas eu envie de rentrer avec elles. Une troisième personne était venue, un homme, et il avait des fleurs d’oranger au ruban de son chapeau. Il avait enlevé son chapeau et s’était dit à lui-même me voilà, je voudrais me parler à moi-même. Me voilà. Puis il était entré dans la maison.

Ida se rappelait qu’une vieille femme lui avait dit une fois qu’elle finirait, Ida, par être tellement plus vieille que personne pourrait jamais l’être, bien qu’il y avait quelqu’un, disait la vieille femme, qui l’était.

Ida commençait à se demander si ce n’était pas ce qui était en train de lui arriver. Elle se demandait si elle ne devait pas entrer dans la maison pour voir s’il y avait vraiment quelqu’un avec sa grande-tante, et puis elle se dit qu’elle ferait comme si elle n’habitait pas là mais était juste en visite et se dirigea vers la porte et se demanda à elle-même s’il y avait quelqu’un et quand on ou plutôt elle répondit non il n’y a personne elle résolut de ne pas entrer.

Cela valait mieux car les fleurs d’oranger pour sa grande-tante étaient de drôles de choses tout comme les poiriers pour Ida étaient de drôles de choses.

Et ainsi Ida avait continué de grandir et puis elle avait approché de ses seize ans et beaucoup de drôles de choses lui étaient arrivées. Sa grande-tante partit et elle perdit cette grande-tante qui ne s’était plus jamais contentée de rien depuis que les fleurs d’oranger étaient venues lui rendre visite. Et maintenant Ida vivait avec son grand-père. Elle avait un chien mais il était presque aveugle pas à cause de l’âge mais parce qu’il était né comme ça et Ida l’appelait Amour elle aimait l’appeler, elle, naturellement et il aimait venir même sans qu’elle l’appelle.

Il faisait sombre le matin n’importe quel matin mais ça lui était égal à son chien Amour puisqu’il était aveugle.

Il est vrai qu’il était né aveugle ça leur arrive souvent aux chiens quand ils sont gentils. Naturellement il avait beau être aveugle elle pouvait toujours lui parler.

Écoute Amour lui dit-elle un jour, mais écoute bien et écoute que je te raconte quelque chose.

Oui Amour lui dit-elle, tu m’as toujours eue et maintenant tu vas en avoir deux, je vais avoir une jumelle, oui Amour une jumelle, je suis fatiguée de n’être qu’une et quand je serai jumelle l’une d’entre nous pourra sortir et l’autre pourra rester, oui Amour oui je vais oui je vais avoir une jumelle. Je suis comme ça tu sais Amour quand il me faut quelque chose il me le faut. Et il me faut une jumelle Amour, mais oui.

La maison où vivait Ida était un peu au sommet d’une colline, ce n’était pas une très belle maison mais elle était assez jolie et il y avait un grand champ à côté et des arbres aux deux bouts du champ et un chemin tout au long et jamais beaucoup de fleurs parce que les arbres et l’herbe prenaient tellement de place mais il restait à Ida et à son chien Amour pas mal d’espace et vraiment il lui fallait une jumelle tout le monde pouvait le comprendre.

Elle s’était mise à chanter une chanson sur sa jumelle et voici ce qu’elle chantait :

Oh mon cher oh mon cher Amour, c’était son chien, si j’avais une jumelle bon personne ne saurait laquelle des deux je serais et laquelle elle serait et s’il arrivait quelque chose personne ne serait sûr et un tas de choses vont se passer et oh Amour je l’ai senti oui je le sais j’ai une jumelle.

Et plus tard Amour ajouta-t-elle ma jumelle se teindra les cheveux et on m’appellera la blonde qui s’est suicidée. Et plus tard viendra le moment où je tuerai ma jumelle celle que j’ai fait venir et on me traitera de meurtrière. Si vous la faites vous pouvez la tuer. Dis-le moi Amour mon chien et dis-le lui.

Comme tout le monde Ida n’avait pas vécu partout mais elle avait vécu dans un bon nombre de maisons et dans pas mal d’hôtels. Elle trouvait toujours naturel de vivre où elle vivait et elle oubliait vite les autres adresses. Ça arrive à tout le monde.

Il n’y avait rien de bizarre chez Ida mais il lui arrivait de drôles de choses.

Ida n’avait jamais véritablement rencontré d’homme mais elle avait un plan.

C’était pendant qu’elle vivait encore chez sa grande-tante. Ce n’était pas près de l’eau à moins que vous appeliez de l’eau un petit ruisseau ou à une assez grande distance un petit lac, ou les collines qu’il y avait derrière. Si vous n’appelez pas ça de l’eau l’endroit où habitait Ida n’était pas du tout près de l’eau mais près d’une église.

On était en mars et il faisait très froid. Pas dans l’église il y faisait chaud. Ida n’allait pas souvent à l’église, elle ne connaissait personne et quand vous ne connaissez personne vous n’allez pas souvent à l’église pas dans une église qui n’est ouverte que lorsqu’il se passe quelque chose.

Et puis elle avait fait la connaissance d’une famille de petites vieilles, des tantes. Elles étaient cinq, elles n’étaient les tantes de personne mais elles se sentaient des âmes de tantes et Ida allait à l’église avec elles. Quelqu’un allait prononcer un sermon. Était-ce sur la vie ou sur la politique ou sur l’amour ? Certainement pas sur la mort, de toute façon, et elles avaient demandé à Ida de venir et elles y étaient toutes allées.