Avant qu’elle n’aille trop vers le large, je l’attraperais par les pieds, je la maintiendrais la tête dans l’eau, jusqu’à ce qu’elle se noie.
— Williams ! Quelle imagination ! Et quelle férocité !
— Et vous, chef, comment feriez-vous ?
— Je n’avais pas pensé à des méthodes aquatiques. Si j’étais meurtrier, je pourrais très bien ne pas savoir nager, ou ne pas avoir de goût pour le bain le matin, ou ne pas supporter de faire trempette en compagnie d’un cadavre. Non, je crois que je me hisserais sur un rocher entouré de beaucoup d’eau. J’attendrais qu’elle vienne me parler et alors je lui saisirais la tête que je maintiendrais sous l’eau. Ainsi, les seules parties de mon corps qu’elle pourrait griffer seraient mes mains. Par conséquent, je porterais des gants de cuir. En quelques secondes, elle perdrait connaissance.
— Parfait, inspecteur. Sauf que vous ne pourriez pas utiliser cette méthode à moins d’aller à plusieurs kilomètres de la Crique.
— Pourquoi ?
— Il n’y a pas de rochers.
— C’est vrai, mon cher, néanmoins il y a quelque chose d’équivalent : une petite jetée.
— Oui, oui, tout à fait. Alors vous supposez que c’est ainsi qu’on a procédé ?
— Je n’en sais rien. C’est une hypothèse. Toutefois, le manteau continue à me troubler.
— Je ne vois pas pourquoi, inspecteur. Par un matin brumeux un peu frais, à 6 heures, n’importe qui aurait pu porter un manteau.
— M’ouais… répondit Grant, dubitatif.
Il ne voulait plus y penser, et pourtant, il lui arrivait d’être distrait par un de ces détails illogiques qui troublaient son raisonnement d’ordinaire logique. Et c’est ainsi que, bien souvent, ses efforts se voyaient récompensés là où la logique avait échoué. Il donna des instructions à Williams pour continuer ses recherches pendant que lui-même serait à Londres.
— Je viens de passer encore quelques minutes avec Tisdall. Il a été engagé comme serveur à La Marine. Bien que je ne croie pas qu’il cherche à s’enfuir, vous auriez intérêt à le faire surveiller. Mettez Sanger sur le coup. Voici, continua-t-il, en remettant un papier au sergent, l’itinéraire qu’il a suivi en voiture jeudi matin. Vérifiez-le. Malgré l’heure matinale, peut-être quelqu’un se souviendra-t-il l’avoir aperçu. Portait-il un manteau ou non ? Voilà la question importante. Je pense, pour ma part, qu’il a pris la voiture comme il l’a déclaré, mais pas pour la raison qu’il invoque.
— En lisant sa déposition, j’ai trouvé cette raison stupide moi aussi, et je me suis dit qu’il aurait pu inventer quelque chose de mieux ! À votre avis, qu’a-t-il fait ?
— Je pense qu’après avoir commis le crime il n’avait qu’une idée en tête : fuir. Une voiture lui permettait d’être à l’autre bout de l’Angleterre et même hors du pays, avant qu’on ne découvre le corps. Il s’est donc enfui. Puis il s’est rendu compte qu’il faisait une bêtise. Le bouton perdu le tracassait peut-être et il a senti qu’il valait mieux rester sur place et jouer au naïf. Il s’est alors débarrassé du manteau suspect – car, même si le bouton ne l’avait pas inquiété, la manche devait être trempée d’eau de mer presque jusqu’au coude –, il a remis la voiture en place, constaté que le cadavre avait été découvert à marée montante, puis nous a offert une excellente comédie sur la grève. Cela n’a pas dû être bien difficile : l’idée même du pétrin dans lequel il avait failli se mettre aurait suffi à le faire éclater en sanglots.
— Vous le croyez donc coupable ?
— Je n’en sais rien. Je ne pige pas le mobile du crime. Tisdall n’avait plus un sou et Miss Clay était une femme généreuse. Il avait donc tout intérêt à ce qu’elle reste en vie.
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