Il me trouva prêt au combat, mais je m’étais mépris sur ses intentions. Il ne fit aucun mouvement hostile avec son arme, et il semblait vouloir me persuader qu’il n’avait pas l’intention de me nuire. Il était très excité et, semblait-il, extrêmement irrité que je ne pusse le comprendre ; perplexe aussi. Il sautillait et me criait d’étranges paroles, empreintes des inflexions d’ordres péremptoires, d’invectives rageuses et de fureur impuissante. Mais le fait qu’il avait remis l’épée dans son fourreau avait plus de signification que toutes ses vociférations. Lorsqu’il cessa de brailler et se mit à communiquer par une sorte de pantomime, je m’aperçus qu’il faisait des signes de paix sinon d’amitié. J’abaissai alors mon épée et saluai. Ce fut tout ce que je pus concevoir pour le convaincre que je n’avais nulle intention immédiate de l’embrocher.

Il parut satisfait et porta aussitôt son attention sur l’homme terrassé. Il lui tâta le pouls et écouta son cœur puis, hochant la tête, il se leva et sortit un sifflet d’une de ses sacoches. Il y souffla énergiquement et, immédiatement, surgit d’un des bâtiments voisins une vingtaine d’hommes rouges nus, qui accoururent vers nous. Aucun n’était armé. Il donna quelques ordres brefs à ces derniers et ils soulevèrent le corps pour l’emporter. Puis le vieil homme se dirigea vers le bâtiment, me faisant signe de le suivre. Il me semblait qu’il n’y avait rien d’autre à faire qu’obéir. Où que je pusse être sur Mars, j’avais un million de chances contre une de me trouver parmi des ennemis. J’étais donc aussi bien ici qu’ailleurs et, pour faire mon chemin sur la Planète Rouge, je ne devais compter que sur mes propres ressources, talents et agilité.

Le vieil homme me mena dans une petite pièce où s’ouvraient de nombreuses portes. C’est par une de celles-ci qu’on était en train d’emporter le corps de mon adversaire. Les suivant, nous entrâmes dans une grande salle brillamment éclairée où s’imposa à mes yeux stupéfaits la scène la plus macabre que j’eusse jamais contemplée. Des rangées de tables agencées en lignes parallèles remplissaient la pièce et, à quelques exceptions près, chaque table portait le même fardeau macabre : un cadavre humain partiellement démembré ou mutilé d’une manière quelconque. Au-dessus de chaque table, une étagère supportait des boîtes de formes et de dimensions diverses, et sous ces étagères pendaient de nombreux instruments chirurgicaux. Tout cela suggérait que mon entrée sur Barsoom allait se faire dans un gigantesque collège de médecine.

Sur un mot du vieil homme, ceux qui portaient l’homme rouge que j’avais blessé l’allongèrent sur une table libre et quittèrent la pièce. Alors mon hôte – si je puis l’appeler ainsi, car il ne l’était certes pas encore, puisque j’étais plutôt son prisonnier – me fit signe d’approcher. Et, tout en me parlant d’un ton égal, il pratiqua deux incisions dans le corps de mon adversaire mort ; l’une, j’imaginai dans une grande veine, et l’autre dans une artère. Il y fixa habilement les extrémités de deux tuyaux ; l’un était relié à un grand bocal vide et l’autre à un récipient rempli d’un liquide transparent et incolore ressemblant à de l’eau claire. Les branchements faits, le vieil homme appuya sur un bouton qui mit en marche un petit moteur. Le sang de la victime fut alors pompé dans le bocal vide tandis que le contenu de l’autre était injecté dans les veines et les artères qui se vidaient.

Les inflexions et les gestes du vieil homme, comme il s’adressait à moi durant cette opération, me persuadèrent qu’il expliquait en détail la méthode et le but de ce qui se passait. Mais comme je ne compris pas un mot de tout ce qu’il dit, je ne fus pas plus avancé à la fin de son discours qu’avant son début. Néanmoins, ce que j’avais vu permettait raisonnablement de croire que j’assistais à un simple embaumement barsoomien. Ayant retiré les tuyaux, le vieil homme boucha les ouvertures qu’il avait pratiquées avec des morceaux d’une sorte d’épais sparadrap, puis il me fit signe de le suivre. Nous traversâmes salle après salle, et chacune recélait les mêmes reliques macabres. Le vieil homme s’arrêtait devant de nombreux corps pour faire un bref examen ou jeter un coup d’œil à ce qui semblait être une fiche signalétique suspendue à un crochet au bout de chaque table.

Après la dernière des salles que nous visitâmes au rez-de-chaussée, mon hôte me conduisit par un plan incliné au premier étage où se trouvaient des pièces similaires à celles d’en dessous. Mais là, les tables portaient des corps entiers et non mutilés. Tous étaient pansés à divers endroits avec du sparadrap. Alors que nous passions parmi les corps d’une des pièces, une jeune fille barsoomienne, que je pris pour une servante ou une esclave, entra et s’adressa au vieil homme.