Quant à sa très ordinaire apparence bengalie, elle ne cadrait vraiment pas avec ce « divin » vacarme.

Personne ne confondait donc ce dieu du cours élémentaire second degré avec Indra, Chandra, Varuna ou Kartik. Un dieu semblable à notre maître, ce ne pouvait être que Yama, le dieu de la mort ; et après toutes ces années, pourquoi ne pas avouer que nous avons tous souhaité qu’il rejoignît, séance tenante, la demeure de Yama ? À l’évidence, aucun dieu ne saurait être plus malveillant qu’un homme qui se fait dieu. Les immortels sont à mille lieues de causer de pareils problèmes. Cueillez une fleur pour la leur offrir, ils seront contents ; abstenez-vous-en, ils ne vont pas s’en plaindre. Les dieux humains exigent bien davantage. À la moindre petite négligence de votre part, ils fondent aussitôt sur vous, les yeux rouges de fureur, ce qui, soit dit en passant, n’en fait pas des figures divines.

Notre pandit disposait pour nous torturer d’une arme qui, à première vue insignifiante, n’en était pas moins d’une terrible cruauté. Il donnait à ses élèves des sobriquets. Or, bien qu’un nom ne soit rien qu’un mot, les gens, en général, sont plus attachés à leur nom qu’à leur propre personne. Ils ne reculeraient devant aucun obstacle pour les défendre ; ils seraient même prêts à mourir pour eux. C’est que, en déformant le nom d’une personne, on attente à quelque chose de plus précieux que la vie même. Avisez-vous un peu de remplacer le nom, objectivement hideux, de quelqu’un par un beau, un noble nom, eh bien, la personne à laquelle vous aurez fait ce mauvais coup ne pourra le supporter ! On peut inférer de là un principe, à savoir que le symbolique vaut beaucoup plus à nos yeux que le matériel, que le prix d’achat des bijoux est plus précieux que l’or, que l’honneur signifie plus que la vie, et notre nom plus que nous-mêmes.

En raison de cette loi profonde qui régit la nature humaine, Shashishekhar (« Couronne de la lune ») fut en proie à une grande détresse quand Shibanath l’affubla du surnom de Bhetaki, c’est-à-dire Poisson plat. Sa détresse ne fit que redoubler quand il comprit que c’était précisément son physique qui lui avait valu ce sobriquet – mais que pouvait-il faire d’autre que rester assis tranquillement et souffrir en silence ?

Quant à Ashu, le maître d’école le baptisa Ginni, c’est-à-dire Fée-du-logis. Pourquoi ? L’histoire qui va suivre vous le dira.

Ashu était le petit garçon modèle de la classe. D’une grande timidité (peut-être parce qu’il était plus jeune que les autres), il ne se plaignait jamais de rien à personne. Il souriait gentiment à tout ce qu’on lui disait ; il travaillait dur ; beaucoup d’enfants avaient très envie de se lier d’amitié avec lui, mais il ne jouait jamais avec personne, et dès que le maître nous libérait, il rentrait tout droit chez lui. Chaque jour, vers une heure de l’après-midi, une jeune servante lui apportait quelques friandises dans une tasse de feuilles et de l’eau dans un petit pot de bronze, ce qui embarrassait considérablement Ashu. Il brûlait d’impatience de la voir retourner à la maison. Il ne voulait pas être perçu par ses camarades de classe autrement que comme écolier. Tout ce qui concernait sa famille – parents, frères, sœurs – était une affaire strictement privée, qu’il faisait tout son possible pour dissimuler aux autres garçons de l’école.

Tant qu’il s’agissait de ses seules études, il n’était jamais pris en défaut, mais de temps à autre, il arrivait en retard et se montrait incapable de fournir une bonne excuse quand Shibanath le questionnait à ce sujet. Il encourait alors une disgrâce effroyable : le maître d’école l’obligeait à se tenir près des marches de la bâtisse, plié en deux, les mains sur les genoux. Quatre classes de garçons étaient ainsi témoins de son malheur et de sa honte.

Un jour, il y eut congé à cause d’une éclipse. Le lendemain, Shibanath prit place sur son tabouret comme à l’accoutumée et, regardant en direction de la porte, vit Ashu entrer dans la classe avec son ardoise et ses manuels scolaires enveloppés dans une étoffe tachée d’encre. Il semblait encore plus hésitant que d’ordinaire.

— Ah, s’écria le pandit avec un rire cruel, voilà notre Fée-du-logis !

Et plus tard, la classe terminée, juste avant de renvoyer les garçons chez eux, il lança :

— Écoutez ça, vous tous !

Ce fut pour Ashu comme si les lois de la gravité l’entraînaient au centre de la terre. Mais que faire, sinon rester assis sur son banc, ses petites jambes ballantes comme le pan de son dhoti ? Il y aurait encore bien des années dans la vie d’Ashu, bien des jours de joie, de chagrin et de honte plus significatifs que celui-là, mais rien ne pourrait jamais se comparer avec ce que son jeune cœur souffrit à cette occasion.

Il s’agissait pourtant d’une affaire bien insignifiante et qui peut se résumer en quelques phrases.

Ashu avait une petite sœur ; elle n’avait ni cousine, ni amie de son âge, aussi Ashu était-il son seul camarade de jeux. La maison où ils habitaient avait une véranda entourée d’une balustrade et fermée par une grille. La journée avait été nuageuse et très humide. Les rares personnes qui continuaient à passer, leurs souliers dans une main et leur parapluie dans l’autre, étaient beaucoup trop pressées pour regarder autour d’eux. Ashu, assis sur les marches de la véranda, joua du matin au soir avec sa petite sœur, tandis que les nuages assombrissaient le ciel et que la pluie crépitait.

C’était le jour du mariage de la poupée. Ashu était en train de donner à sa sœur des instructions aussi scrupuleuses que solennelles pour la célébration du mariage quand un problème surgit : qui serait le prêtre ? Soudain, la petite fille bondit, et Ashu l’entendit demander à quelqu’un :

— S’il vous plaît, c’est le mariage de ma poupée. Est-ce que vous voulez bien faire le prêtre ?

Ashu se retourna, et… que vit-il ? Un Shibanath trempé jusqu’aux os ! Debout sous la véranda, ce dernier était en train de replier son parapluie.