Il leur arriva de briser ainsi plusieurs vases de grand prix. Entendaient-ils les pas de leur maîtresse dans l’escalier, ils couraient alors se blottir sous leurs coussins en se pourléchant d’un air si calme que Mme Ahavzi n’hésitait pas à regarder Mouck comme l’unique cause du désordre qui régnait dans son appartement. Le petit avait beau protester de son innocence et raconter la vérité, la vieille accordait plus de confiance aux mines papelardes de ses chats qu’aux paroles de leur serviteur, et elle en vint un jour jusqu’à le menacer de le châtier rudement, s’il ne veillait pas mieux sur ses pensionnaires.
« Fatigué et attristé de ces gronderies continuelles, qu’il n’était pas en son pouvoir d’éviter, Mouck résolut d’abandonner le service de Mme Ahavzi. Mais, comme il avait appris par son premier voyage combien il fait dur vivre sans argent, il chercha avant tout par quel moyen il pourrait obtenir les gages que sa maîtresse lui avait promis, mais dont il n’avait jamais pu se faire payer.
« Il y avait dans la maison une chambre mystérieuse que Mme Ahavzi tenait toujours soigneusement close, et dans laquelle Mouck l’avait entendue parfois faire un grand tapage. En songeant à ses gages, il lui vint en pensée que c’était probablement là que la vieille serrait ses trésors, et il ne rêva plus qu’aux moyens d’y pénétrer.
« Un matin que Mme Ahavzi était sortie, un des petits chiens, qu’elle traitait toujours assez mal, et dont Mouck, au contraire, s’était concilié la faveur par toutes sortes de bons offices, le tirailla par ses larges culottes, comme pour l’inviter à le suivre. Mouck, qui jouait volontiers avec cet animal et comprenait fort bien son muet langage, se laissa faire et arriva ainsi jusqu’à la chambre à coucher de la vieille. Le chien fit le tour de la pièce, flairant et grattant, et s’arrêta enfin devant un panneau de cèdre contre lequel il se dressa en aboyant et en regardant Mouck. Celui-ci frappa sur le panneau, qui sonna creux dans toute sa hauteur. Ce devait être une porte ; mais comment l’ouvrir ? Il n’existait aucune trace de serrure. Le chien aboyait toujours sourdement et semblait excité par la vue d’une espèce de figure de dragon dessinée au milieu du panneau à l’aide de clous de cuivre. Mouck promenait sa main sur cette figure, dont il examinait curieusement les contours, lorsque soudain l’un des clous céda sous la pression involontaire de son doigt, et le panneau tournant sur lui-même découvrit aux yeux émerveillés de Mouck la chambre dont il convoitait depuis si longtemps l’entrée.
« L’aspect en était étrange et saisissant. C’était un vrai capharnaüm, dans lequel gisaient confondus mille objets divers : costumes de tous les temps et de tous les pays, matras, cornues, ballons, oiseaux empaillés, serpents s’enroulant autour des colonnes ou rampant sur le sol, squelettes d’hommes et d’animaux, miroirs cabalistiques, cages, boussoles, télescopes, et que sais-je encore ? tout l’attirail enfin de la sorcellerie !
« Mouck était ébahi. Il allait d’un objet à l’autre, examinait tout avec une curiosité d’enfant et, comme un enfant, touchant à tout.
« Un magnifique vase de cristal de Bohême attira surtout son attention. Il le tournait et le retournait en tous sens, sans pouvoir se lasser d’en admirer le travail, quand soudain un bruit se fit entendre. Mouck tressaillit, et le vase, lui glissant des mains, se brisa en mille pièces sur le parquet en éclatant comme une bombe d’artifice.
« Ce n’était qu’une fausse alerte, mais le malheur qu’elle avait occasionné n’était que trop réel. Après une pareille équipée, il ne restait plus au pauvre petit qu’à décamper au plus vite, s’il ne voulait se faire assommer par la vieille.
« Sa résolution fut prise aussitôt. Mais n’oubliant pas l’objet qui l’avait amené, il se mit à fureter de tous côtés, espérant trouver, à défaut d’argent, quelque vêtement ou quelque ustensile dont il pût tirer profit. Dans cette recherche, ses yeux tombèrent sur une vieille paire de babouches d’une forme et d’un dessin des plus surannés, mais dont la dimension le séduisit. Elles avaient apparemment été destinées, dans le principe, à chausser quelque géant, et l’on eût pu sans peine y loger deux pieds comme celui de Mouck. Ce fut précisément ce qui lui plut. Avec de telles chaussures, il aurait l’air d’un homme, enfin, et l’on ne serait plus tenté, pensait-il, de le traiter comme un enfant !
« Un joli petit bambou, surmonté, en guise de pomme, d’une tête de lion ciselée, lui sembla également un meuble fort inutile pour Mme Ahavzi, tandis qu’il s’en servirait lui-même fort bien dans son voyage. Il s’en empara donc, et, sans pousser plus loin ses recherches, il sortit de la chambre et de la maison et courut sans regarder derrière lui jusqu’aux portes de la ville. Arrivé là, il ne se crut pas encore en sûreté, et continua de courir jusqu’à ce qu’enfin la respiration fut près de lui manquer.
« De sa vie, le petit Mouck n’avait fourni une course aussi longue et aussi rapide ; et cependant, malgré la fatigue qui l’accablait, il se sentait toujours sollicité à courir, et il lui semblait qu’une force surnaturelle l’entraînait en quelque sorte malgré lui. Mouck avait l’esprit subtil, ainsi que nous l’avons remarqué déjà ; il conjectura donc qu’il était sous l’influence de quelque charme qui devait tenir à ses chaussures nouvelles, et il se mit à leur crier comme lorsqu’on arrête un cheval lancé au galop : « Ho ! ho ! halte ! ho ! la ! la ! doucement ! doucement ! »
« Les babouches s’arrêtèrent aussitôt, et Mouck tomba épuisé sur la terre, où il s’endormit de lassitude.
« Tandis qu’il sommeillait lourdement, le petit chien de Mme Ahavzi lui apparut en songe et lui jappa ce qui suit :
« Cher Mouck, tu ne connais encore qu’imparfaitement l’usage de tes belles babouches. Sache donc que si, les ayant mises à tes pieds, tu tournes trois fois sur le talon, tu t’envoleras par les airs et te rendras ainsi en quelque endroit qu’il t’aura plu de choisir. Sache encore que ta petite canne recèle la vraie baguette de Jacob, et que par son moyen tu peux découvrir les trésors enfouis dans la terre ; car, là où il y a de l’or, elle doit frapper trois fois le sol, et deux fois pour indiquer de l’argent. »
« Ainsi rêva le petit Mouck, et il ne fut pas plutôt réveillé qu’il voulut vérifier la puissance de ses babouches, en attendant qu’il trouvât l’occasion d’essayer celle de sa canne. S’étant donc rechaussé vivement, il leva un pied en l’air et commença à tourner sur l’autre en s’appuyant sur le talon.
« Quiconque a tenté d’accomplir ce tour d’adresse trois fois de suite dans des chaussures trop larges ne doit pas s’étonner si le petit Mouck, que sa lourde tête entraînait tantôt à droite et tantôt à gauche, n’y réussit pas du premier coup.
« Il tomba plusieurs fois lourdement sur le nez. Cependant il ne se laissa pas décourager et recommença tant et si bien l’épreuve qu’à la fin il en sortit triomphant. Comme une toupie vigoureusement lancée, il tourna sur lui-même trois tours pleins, en souhaitant d’être transporté dans la grande ville la plus proche, et ses babouches l’enlevèrent aussitôt dans les airs. Elles couraient au-dessus des nuages comme si elles avaient eu des ailes, et, avant que le petit Mouck eût eu le temps de se reconnaître, il se trouva rendu au beau milieu d’une grande place sur laquelle s’élevait un palais magnifique qu’il apprit bientôt être le palais du roi.
« Mouck était en possession de deux talismans précieux ; mais, en attendant qu’il pût les utiliser, il fallait vivre, et il n’avait pas la moindre piécette dans sa ceinture pour se procurer à manger.
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