Une baguette indiquant les trésors cachés, c’était fort bon ; mais encore fallait-il traverser un endroit où des trésors fussent enfouis pour que la canne entrât en danse, et cela ne se rencontre pas tous les jours. Des babouches volantes, c’était superbe aussi ; mais courir sans but ne remplit pas le ventre. En ce moment, un messager du roi rentrait au palais, tout poudreux, efflanqué, n’en pouvant plus : « Eh mais ! se dit Mouck, voilà mon affaire ! ces gens-là sont bien payés, bien nourris ; je veux m’enrôler parmi eux et les surpasser tous, grâce à mes babouches ! » Et poussant droit au palais, il se fit conduire devant l’intendant général de la domesticité royale, auquel il offrit ses services comme coureur.
« L’intendant partit d’un grand éclat de rire en abaissant ses yeux sur l’avorton qui lui misait cette proposition saugrenue :
« Toi, coureur ? lui dit-il.
« – Oui, moi ! Mouck, fils de Mouckrah, surnommé le petit Mouck, et qui prétends dépasser à la course le plus alerte des coureurs de Sa Majesté. »
« L’aplomb du nain imposa à l’intendant. Il ne croyait pas un mot de ce que lui disait Mouck : la belle apparence qu’un pareil nabot pût lutter de vitesse avec des coureurs fendus comme des compas et dont chaque enjambée eût valu dix des siennes ! Mais il s’imagina que le petit bonhomme était quelque bouffon dont pourrait s’amuser Sa Majesté.
« Soit ! lui dit-il, je t’engage. Descends aux cuisines et fais-toi servir à manger ; mais en même temps, prépare-toi à fournir une course d’essai sous les yeux de Sa Majesté, Va ! et, si tu tiens à tes oreilles, songe à te tirer d’affaire convenablement. »
« Mouck ne se fit pas répéter deux fois l’invitation, et il descendit les escaliers quatre à quatre, conduit par un esclave qui recommanda au chef de l’office de lui donner tout ce qu’il voudrait.
« Une heure après, Mouck, bien repu, était amené sur une grande pelouse qui s’étendait au-dessous des fenêtres du château, et sur laquelle devait avoir lieu la lutte que lui avait annoncée l’intendant.
« On était en ce moment, à la cour, en grande disette de divertissements : Chinchilla, le singe favori du roi, était mort d’indigestion ; son beau kakotoës, surnommé l’arc-en-ciel, était dans sa mue et plus déplumé qu’un vieux coq qu’on va mettre à la broche ; restaient, il est vrai, les poissons rouges, mais au bout de quelque temps leur contemplation avait fini par paraître bien monotone à Sa Majesté. On accueillit donc avec empressement la proposition que fit l’intendant d’offrir à Leurs Altesses le spectacle d’une course dans laquelle un nain devrait dépasser, du moins le promettait-il, le plus agile coureur de Sa Majesté.
« Lorsque Mouck parut sur la prairie, toute la cour était déjà aux fenêtres, et ce fut une explosion d’hilarité universelle lorsqu’on vit s’avancer, en se dandinant comme un poussah, ce petit corps surmonté d’une grosse tête qui s’inclinait à droite et à gauche pour saluer l’assemblée. Mais notre ami ne se laissa pas décontenancer par les rieurs, et se campant fièrement sur la hanche aux côtés de son adversaire, plus maigre et plus efflanqué qu’un lévrier, il attendit sans sourciller le signal convenu.
« La princesse Amarza agita son éventail, et, de même que deux traits décochés vers le même but, les deux coureurs s’élancèrent sur la plaine.
« Tout d’abord l’adversaire de Mouck prit une avance notable ; mais celui-ci, emporté par ses babouches endiablées, l’atteignit bientôt, le dépassa et toucha le but longtemps avant l’autre, qui n’y arriva qu’essoufflé, tandis que Mouck respirait avec autant de calme que s’il eût fait la course au petit pas.
« Les spectateurs demeurèrent pendant quelques instants stupéfaits d’étonnement et d’admiration ; mais, lorsque le roi eut daigné applaudir, toute la cour en fit autant en s’écriant : « Vive le petit Mouck ! le petit Mouck est le roi des coureurs ! »
« À partir de ce moment, le petit Mouck fut attaché à la personne du roi en qualité de coureur ordinaire et extraordinaire, et chaque jour il entrait plus avant dans les bonnes grâces de son maître par la rapidité, l’intelligence et la fidélité qu’il apportait dans toutes les commissions qui lui étaient confiées. La faveur dont il jouissait ne tarda pas, du reste, ainsi qu’il est ordinaire, à susciter contre lui la jalousie des autres serviteurs ; qui ne manquaient jamais une occasion de témoigner au pauvre Mouck tout leur mauvais vouloir.
« Cet état de choses l’attristait. De nature aimante, et disposé lui-même à sympathiser avec tout le monde, il ne pouvait supporter non-seulement la haine des autres, mais même leur froideur. « Si je pouvais, se disait-il, rendre quelque service à mes compagnons, peut-être cela changerait-il. » Il se rappela alors son petit bâton, que le bonheur de sa nouvelle position lui avait fait complètement oublier. « Je ne tiens pas pour moi à trouver des trésors, pensait-il ; les libéralités du roi me suffisent. Mais, si je venais à rencontrer quelque aubaine, je la partagerais entre mes compagnons, et cela les disposerait sans doute favorablement à mon égard. » Depuis lors il ne sortit plus, soit en message, soit en promenade, sans être muni de sa petite canne, espérant qu’un jour le hasard le conduirait en quelque endroit ou des trésors seraient enfouis.
« Un soir qu’il errait solitaire dans la partie la plus reculée des jardins du roi, il sentit sa canne bondir trois fois dans sa main. Plein de joie, il tira aussitôt son poignard, afin d’entailler, de manière à reconnaître la place, les arbres qui entouraient ce lieu, et il regagna le palais.
« La nuit venue, il se munit d’une bêche et d’une lanterne sourde et retourna à la recherche de son trésor, qui lui donna d’ailleurs plus de mal qu’il ne s’y était attendu ; car ce n’est pas le tout que de trouver une mine, encore faut-il savoir et pouvoir l’exploiter. Or, les bras de Mouck étaient faibles, sa bêche grossière et pesante, et il dut piocher plus de trois grandes heures pour creuser deux pieds à peine. Enfin il heurta quelque chose de dur qui rendit sous sa bêche un son métallique. Il fouilla alors avec plus d’ardeur, pour dégager complètement l’objet dont il n’apercevait que l’un des côtés. C’était une urne immense, et, lorsqu’il eut réussi à en desceller le couvercle, il la trouva pleine jusqu’aux bords de monnaies d’or de toute espèce, mais dont la plupart portaient la date du dernier règne.
« L’urne était d’un poids trop lourd et surtout de trop grande dimension pour que Mouck songeât à l’emporter. Il se contenta donc d’emplir ses culottes et sa ceinture d’autant d’or qu’elles en purent contenir ; il en fourra encore une bonne partie dans son manteau, et, lesté ainsi, il regagna sa chambre, non sans avoir pris soin de recouvrir de gazon, de mousse et de branches d’arbre le trou qu’il avait creusé.
« Lorsque, le petit Mouck se vit en possession d’une si grosse somme, il crut que les choses allaient changer de face pour lui et qu’il allait acquérir du même coup autant de camarades et de chauds partisans qu’il comptait d’ennemis la veille. Bon petit Mouck ! les illusions qu’il se fit alors prouvent bien qu’il n’avait aucune expérience de la vie. Autrement, eût-il pu s’imaginer qu’avec de l’or on se crée de vraies amitiés ? Hélas ! qu’il eût bien mieux fait de graisser ses babouches, et, les poches pleines d’or, de s’éclipser au plus vite !
« On le jalousait sourdement auparavant, à cause de l’affection que lui témoignait le roi. On le détesta, on le vilipenda, on le maudit, on le calomnia dès que ses mains, toujours ouvertes, laissèrent couler l’or sans compter sur tout son entourage.
« Le cuisinier en chef, Ayoli, disait : « C’est un faux monnayeur.
« – Il a dépouillé quelqu’un, » répondait Achmet, l’intendant des esclaves.
« Mais Archaz, le trésorier, son ennemi le plus âpre, qui lui-même pratiquait de temps en temps des saignées occultes à la cassette de son maître, le traître Archaz ajoutait : « Certainement, il a volé le roi. »
« Vraies ou fausses, de pareilles accusations manquent rarement de perdre l’homme sur qui elles tombent ; et, s’il échappe au dernier supplice, ce n’est que pour expier plus durement peut-être, par son abaissement, la faveur dont il a joui.
« La bande des envieux s’étant donc concertée, le chef du gobelet, Korchuz, se présenta un jour, triste et abattu, devant le roi, qui parut d’abord n’y pas prendre garde ; mais Korchuz, affecta tant de désolation dans son maintien et poussa de tels soupirs, que le roi impatienté finit par lui demander ce qu’il avait à geindre ainsi.
« Hélas ! répondit le fourbe, je me désole d’avoir perdu les bonnes grâces de mon maître.
« – Que radotes-tu là, ami Korchuz ! » interrompit le roi ; « depuis quand le soleil de mes grâces a-t-il cessé de luire sur toi ? »
« Le chef du gobelet se prosterna et, dans une harangue des plus entortillées, où l’expression de son dévouement revenait à chaque phrase, il trouva le moyen de glisser que Mouck faisait un tel gaspillage d’argent depuis quelque temps, qu’il fallait que le roi eût mis sa cassette à sa disposition, à moins pourtant, ajouta-t-il benoîtement, que le malheureux nain ne fît de la fausse monnaie ou ne volât le trésor ; mais, en tout état de cause, il leur avait paru, à eux, fidèles serviteurs du roi, qu’ils ne pouvaient se dispenser de l’avertir de ce qui se passait.
« Les distributions d’or du petit Mouck parurent en effet fort suspectes au roi, et il ordonna de surveiller secrètement les démarches du nain, afin de le prendre, s’il était possible, la main dans le sac. Quant au trésorier, qui aimait fort à pêcher en eau trouble, il était dans la justification de voir la tournure que prenait cette affaire, et il espérait bien arriver ainsi à apurer ses comptes, qui n’étaient pas des plus clairs.
« Le soir de ce funeste jour, Mouck s’aperçut en retournant ses poches que ses prodigalités les avaient mises à sec, et, comme il n’avait eu vent de rien de ce qui s’était passé à son sujet, il résolut de retourner cette même nuit faire une visite à son trésor. Il était à cent lieues de soupçonner qu’on l’épiât, et que les gens apostés pour le perdre fussent ceux-là même auxquels il se proposait de partager les fruits de sa trouvaille !
« Au moment où, le trou étant déblayé, il venait de soulever le couvercle du vase et d’y plonger son bras, une main de fer saisit la sienne en criant : Ah ! je t’y prends ! voilà donc où tu serres tes épargnes ! » C’était Archiz, suivi d’Ayoli, d’Achmet, de Korchuz, de toute la meute enfin. Le petit Mouck abasourdi ne trouvait pas la force de dire un mot. Il fut aussitôt étroitement garrotté et conduit devant le roi.
« Sa Majesté, que l’interruption de son sommeil avait mise déjà de très-mauvaise humeur, reçut son pauvre coureur particulier avec beaucoup d’irritation, et commanda qu’on lui fit son procès sans désemparer. Le vase encore à demi plein d’or ayant été placé devant le roi, ainsi que la bêche et le petit manteau du malheureux Mouck, afin de servir de pièces de conviction, le trésorier prit la parole et dit qu’il avait surpris Mouck au moment même où il venait d’enfouir ce vase tout rempli d’or dans un endroit écarté du jardin.
« Mais pas du tout ! mais pas du tout ! » s’écria alors le petit Mouck dans le sentiment de son innocence, et s’imaginant qu’il suffisait d’un seul mot pour la faire briller aux yeux de tous : « bien loin d’avoir enfui cet or, je l’ai déterré au contraire, après l’avoir trouvé par hasard. »
Des murmures d’incrédulité et des ricanements ironiques accueillirent l’explication du nain et portèrent au comble la colère du roi, qui éclata d’une voix terrible : « Comment, misérable ! prétends-tu tromper ton roi d’une façon si grossière après l’avoir honteusement volé ? D’ailleurs, que tu l’aies enfoui ou non, cet or, il ne t’appartenait pas et tu n’avais pas le droit d’en disposer. Mais voici qui va te confondre : trésorier Archaz, n’as-tu pas remarqué depuis quelque temps que des sommes énormes étaient détournées de notre cassette, et n’as-tu pas alors dirigé tes soupçons sur quelqu’un ?
« – Oui ! oui ! oui ! se hâta de répondre Archaz ; et cet or provient bien de la cassette royale, et ce jeune drôle est bien le voleur. »
« Après cette impudente déclaration du trésorier, le roi, se trouvant suffisamment édifié, fit signe d’emmener le malheureux Mouck et ordonna de dresser une grande potence au haut de laquelle le pauvre petit devrait être hissé dès le lendemain.
« Mouck n’avait pas voulu tout d’abord révéler au roi le secret du bâton, de peur qu’on ne le dépouillât de son précieux talisman ; mais, lorsqu’il eut entendu prononcer sa condamnation et qu’il se fut bien rendu compte de l’impossibilité ou le mettaient ses liens de s’envoler à l’aide de ses babouches, il se décida à sacrifier la moitié de sa fortune pour sauver l’autre moitié en même temps que sa vie. Ayant donc sollicité du roi un entretien particulier, il se jeta tout en larmes aux pieds de Sa Majesté et lui dit :
« Grand roi, les apparences m’accablent, il est vrai ; mais, si tu daignes m’entendre un moment, tu sauras bientôt quels sont ceux qui te trahissent et si le petit Mouck est parmi eux. Donne-moi seulement ta parole royale de me laisser la vie sauve, et, par la barbe du Prophète ! je te jure de t’apprendre un secret qui te fera plus riche que ne le furent jamais Haroun-al-Raschid, le superbe calife, et le fameux voyageur Sindbad. »
« Le roi, dont les finances étaient des plus délabrées, dressa l’oreille à cette proposition et s’engagea, foi de monarque ! à gracier le petit Mouck, s’il pouvait en effet lui livrer un si beau secret.
« Mouck présenta alors sa petite canne à son maître, et lui en ayant expliqué tout le mystère, il ajouta :
« Et maintenant, ô roi, permets à ton fidèle et malheureux esclave de t’adresser une simple demande : l’expérience que j’ai faite ici de la vie des cours m’en a dégoûté à jamais ; souffre donc que je me retire d’un monde qui ne convient point à mes mœurs et dans lequel le hasard seul des circonstances m’avait poussé. »
« Mais, tandis que notre ami formulait sa requête, le roi songeait à part lui que le petit Mouck, qui découvrait des trésors avec un bâton, devait avoir encore plus d’un bon tour dans sa gibecière. Il pensait notamment que la vélocité du nain, dont les jambes avaient à peine la longueur d’une palme, ne pouvait tenir qu’à quelque engin de sorcellerie, et cette idée ne fut pas plutôt entrée dans sa tête qu’il résolut d’extorquer ce nouveau secret au pauvre Mouck par quelque moyen que ce fût.
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