Donc aucune épouse pour prendre le parti de l’époux et, par conséquent, toute chance qu’une brouille entre les deux astronomes-amateurs pût s’apaiser à bref délai.
Sans doute, dans la seconde famille, il y avait bien Mrs Flora Hudelson. Mais c’était une excellente femme, excellente mère, excellente ménagère, de nature très conciliatrice, incapable de tenir un propos malséant sur personne, ne déjeunant pas d’une médisance, ne dînant pas d’une calomnie, à l’exemple de tant de dames, même des plus considérées dans les diverses sociétés de l’Ancien et du Nouveau Monde. Ce modèle des conjointes s’appliquait surtout à calmer son mari, lorsqu’il rentrait, la tête en feu, à la suite de quelque discussion avec son intime ami Forsyth.
Il faut dire que Mrs Hudelson trouvait tout naturel que M. Hudelson s’occupât d’astronomie, qu’il vécût dans les profondeurs du firmament, à la condition qu’il en descendît, lorsqu’elle le priait d’en descendre. D’ailleurs, contrairement à la bonne Mitz qui harcelait son maître, elle ne harcelait point son mari ; elle ne maugréait point et s’ingéniait pour tenir quand même les plats à un bon degré de cuisson ; elle respectait son absorption, lorsqu’il était absorbé ; elle s’inquiétait aussi de ses travaux, et savait lui servir d’encourageantes paroles, s’il semblait inquiet de quelque découverte et s’égarait dans les espaces infinis au point de ne plus retrouver sa route.
Voilà une femme comme nous en souhaitons à tous les maris, surtout quand ils sont astronomes.
La fille aînée, cette charmante Jenny, promettait de suivre les traces de sa mère, de marcher du même pas sur les chemins de l’existence. Évidemment, Francis Gordon était destiné à devenir le plus heureux des hommes, s’il épousait Jenny Hudelson. Sans vouloir humilier les misses américaines, il est permis de dire que dans toute l’Amérique, il ne se rencontrait pas une jeune fille plus charmante, plus attrayante, plus douée de l’ensemble des perfections humaines. Une aimable blonde aux yeux bleus, à la carnation fraîche, de jolies mains, de jolis pieds, une jolie taille, autant de grâce que de modestie, autant de bonté que d’intelligence. Aussi, Francis Gordon l’appréciait-il non moins qu’elle appréciait Francis Gordon. Le neveu de M. Dean Forsyth possédait d’ailleurs toute l’amitié, toute la sympathie de la famille Hudelson. Cela n’avait point tardé à se traduire sous la forme d’une demande en mariage, qui fut acceptée de part et d’autre. Ces deux jeunes futurs se convenaient si bien ! Ce serait l’aisance dans le ménage que Jenny apporterait avec ses qualités familiales. Quant à Francis Gordon, il serait doté par son oncle, dont la fortune lui reviendrait un jour. Mais laissons de côté ces perspectives d’héritages. Il ne s’agissait pas de l’avenir qui était assuré, mais du présent dans lequel se réuniraient toutes les conditions de bonheur.
Donc, Francis Gordon était fiancé à Jenny Hudelson, Jenny Hudelson était fiancée à Francis Gordon, et le mariage, à une date prochainement fixée, serait célébré par les soins du révérend O’Garth à Saint-Andrew, la principale église de cette heureuse ville de Whaston.
Et vous pouvez être sûrs qu’il y aurait grande affluence à cette cérémonie nuptiale, car les deux familles jouissaient d’une estime qui n’avait d’égale que leur honorabilité. Et non moins sûrs, en outre, que la plus gaie, la plus vive, la plus envolée, ce jour-là, serait cette mignonne Loo, qui servirait de demoiselle d’honneur à sa sœur bien-aimée. Elle n’a pas quinze ans encore, cette fillette, et elle a bien le droit d’être aussi jeune que possible. Tout le monde la choie, tout le monde l’aime. C’est le mouvement perpétuel, et les savants ne le trouveront jamais que dans ces natures-là. Un peu espiègle, avec des reparties inattendues, elle ne se gênait point de plaisanter les « planètes à papa » ! Mais on lui pardonnait tout, on lui passait tout, et le docteur Hudelson était le premier à rire, et, pour unique punition, à mettre un baiser sur ses fraîches joues de fillette.
Au fond, M. Hudelson était un brave homme, mais d’un entêtement égal à sa susceptibilité. Sauf Loo, dont il admettait les plaisanteries sans importance, chacun respectait ses manies et ses habitudes. Très acharné à ses études météorologiques, très buté dans ses démonstrations, très jaloux des découvertes qu’il faisait ou prétendait faire, il sentait dans son ami Dean Forsyth un rival avec lequel s’engageaient parfois d’interminables discussions à propos de tel ou tel météore. Deux chasseurs sur le même terrain de chasse, et qui se disputent les coups de fusil ! Maintes fois, il en résultat des refroidissements qui auraient pu dégénérer en brouilles, n’eût été là cette bonne Mrs Hudelson pour dissiper ces orages. Et elle y était bien aidée par ses deux filles et par Francis Gordon. Du reste, lorsque le mariage de Francis et de Jenny aurait relié plus étroitement les familles, ces orages passagers seraient moins redoutables, et, qui sait, peut-être les deux amateurs, unis dans une sérieuse collaboration, poursuivraient-ils de conserve leurs recherches astronomiques ! Ils se partageraient équitablement le gibier découvert, sinon abattu, sur ces vastes champs de l’espace.
Il convient de le noter, en même temps qu’il faisait de la météorologie, M. Stanley Hudelson s’occupait de statistique – une statistique toute spéciale à la criminalité, dont les courbes, suivant des savants très autorisés, obéissent aux variations thermométriques ou barométriques. Ces concordances, le docteur Hudelson mettait tous ses soins à les relever. Ce graphique du crime, il ne négligeait rien de ce qui permettait de le tenir en état. Il était en correspondance suivie avec M. Linnoy, le directeur du service météorologique de l’Illinois, auquel il fournissait ses observations personnelles. Il n’aurait pas fallu le contredire, lorsque, d’accord avec ce savant de Chicago, il soutenait que « la progression criminelle marche de pair avec l’élévation de la température, sinon par jour, au moins pour les mois, les saisons et les années ». À les en croire, les crimes présentent une légère recrudescence par les temps clairs et une légère diminution par les temps brumeux. L’abaissement de la chaleur, surtout durant les mois d’hiver, et les pluies excessives en été, paraissent correspondre à une décroissance des attentats contre les propriétés et les personnes.
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