Enfin leur nombre baisse quand le vent tourne au nord-est. En outre, il paraîtrait que les trois courbes météorologiques de la folie, du suicide et du crime se superposent assez exactement, dans les mêmes conditions de saison et de température.
Oui ! le docteur Hudelson était attaché tout entier à ces curieuses théories. En ce qui concernait la criminalité et les chances d’en être victimes, il conseillait de prendre plus de précautions pendant les « 4 mois criminels ». Aussi cette rieuse de Loo poussait-elle soigneusement le verrou de sa chambrette par les grandes chaleurs, les grandes sécheresses, et lorsque le vent ne soufflait pas du bon côté.
La maison du docteur Hudelson était des plus confortables – une mieux tenue, on l’aurait vraiment cherchée dans tout Whaston. Ce joli hôtel, au numéro 27 de Moriss-street, marquait le milieu de la rue, entre cour et jardin avec de beaux arbres et des pelouses verdoyantes. Il se composait d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage sur sept fenêtres de façade. La haute toiture était dominée à gauche par une sorte de donjon carré, haut d’une trentaine de pieds, terminé par une terrasse à balustres. À l’un des angles se dressait le mât auquel les dimanches et jours fériés se hissait le pavillon aux cinquante et une étoiles des États-Unis d’Amérique.
La chambre supérieure de ce donjon avait été appropriée pour des travaux d’observatoire. C’est là que fonctionnaient les instruments du docteur, lunettes et télescopes, à moins que pendant les belles nuits, il ne les transportât sur la terrasse d’où ses regards pouvaient librement parcourir le dôme céleste. C’était là, d’ailleurs, qu’il attrapait ses rhumes les plus corsés, en dépit des recommandations de Mrs Hudelson.
« Papa finira même par enrhumer ses planètes ! répétait volontiers miss Loo. Cela se gagne, les coryzas. »
Mais le docteur n’écoutait rien et bravait parfois des sept ou huit degrés centigrades au-dessous de zéro pendant les grandes gelées d’hiver, alors que le firmament apparaissait dans toute sa pureté.
Il est à noter que, de l’observatoire de la maison de Morris-street, on distinguait sans peine la tour de la maison d’Elizabeth-street. Aucun monument ne s’élevait entre l’une et l’autre, aucun arbre n’interposait ses épaisses ramures. Un demi-mille, séparait les deux quartiers qu’elles occupaient. Avec une bonne jumelle, sans recourir au télescope à longue portée, on reconnaissait très aisément les personnes qui se tenaient sur la tour ou sur le donjon. Assurément, Dean Forsyth avait autre chose à faire que de regarder Stanley Hudelson, et Stanley Hudelson n’eût pas voulu perdre son temps à regarder Dean Forsyth. Leurs observations visaient plus haut, et ne s’adressaient point aux objets terrestres. Mais il était assez naturel que Francis Gordon cherchât à voir si Jenny Hudelson ne se trouvait pas sur la terrasse et souvent leurs yeux se parlaient à travers les lorgnettes. Il n’y avait pas de mal à cela, je pense.
Certes, il eût été facile d’établir une communication télégraphique ou téléphonique entre les deux maisons. Un fil tendu du donjon à la tour eût servi aux conversations les plus agréables ; du moins de Francis Gordon à Jenny et de Jenny à Francis Gordon. Et qu’on n’en doute pas, cette petite Loo eût souvent fait sa partie dans ce duo changé en trio. Mais Dean Forsyth et le docteur Hudelson ne tenaient point à échanger des communications, ni à être dérangés pendant leurs observations astronomiques. Aussi l’installation d’un fil était-elle restée à l’état de projet. Peut-être, lorsque les deux fiancés seraient époux définitifs, ce desideratum se réaliserait-il ?… Après le lien matrimonial, le lien électrique pour unir plus étroitement encore les deux familles.
Ce jour-là, dans l’après-midi, Francis Gordon vint faire sa visite habituelle à Mrs Hudelson et à ses filles. Il fut reçu dans le salon du rez-de-chaussée, et, il est permis de le dire, comme s’il eut été le fils de la maison. S’il n’était pas encore le mari de Jenny, Loo voulait qu’il fût déjà son frère, à elle, et ce qui se logeait dans la cervelle de cette fillette y était bien logé.
On ne s’étonnera pas que le docteur Hudelson se fût claquemuré dans le donjon. Il s’y était enfermé dès quatre heures du matin. Après avoir paru en retard pour son déjeuner, tout comme Dean Forsyth, on l’avait vu regagner précipitamment la terrasse au moment où le soleil se dégageait des nuages de la méridienne – toujours comme M. Dean Forsyth. Non moins préoccupé que lui, il ne semblait pas qu’il fût disposé à en redescendre.
Et, cependant, impossible de décider sans lui la grande question qui allait être soumise à l’assentiment général.
« Eh ! s’écria Loo, dès que le jeune homme eut franchi la porte du salon, voilà monsieur Francis… l’éternel monsieur Francis… et je me demande ce que vient faire monsieur Francis !… On ne voit que lui ici ! »
Francis Gordon avait d’abord pressé la main que lui tendait Jenny, toute souriante, et présenté ses compliments à Mrs Hudelson. Puis, pour toute réponse à Loo, il fit éclore le rouge de ses joues sous un bon baiser.
Puis, on s’assit, et la conversation s’établit, qui n’était vraiment qu’une suite à celle de la veille. Il semblait qu’on ne se fût pas quitté depuis hier, et, de fait, en pensée tout au moins, les deux fiancés ne se séparaient jamais l’un de l’autre.
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