Sans doute, le souci de quelque question astronomique… mais laquelle ?…

En attendant, d’ailleurs, à la maison de Morris-street, sauf le docteur Hudelson, on s’inquiétait peu de ce qui se passait dans les profondeurs du firmament. Des préoccupations, personne n’en avait… des occupations, oui… des faire-part aux connaissances des deux familles, des visites et des compliments à recevoir, des visites et des remerciements à rendre… puis les préparatifs du mariage, les invitations à envoyer pour la cérémonie religieuse, et pour le banquet qui devait réunir une centaine de convives… et leur classement de manière à satisfaire tout le monde… et le choix des cadeaux de noces !…

Bref, la famille Hudelson ne chômait pas, et, à croire cette petite Loo, il n’y avait pas une heure à perdre. Et elle raisonnait ainsi :

« Quand on marie sa première fille, c’est une grosse affaire !… On n’a pas l’habitude, et que de soins il faut pour ne rien oublier !… Lorsque c’est sa seconde fille on a déjà passé par là !… L’habitude est prise, et il n’y a aucun oubli à craindre !… Ainsi, pour moi, cela ira tout seul…

– Oui, lui répondait Francis Gordon, oui… tout seul… et comme vous avez bientôt quinze ans, mademoiselle Loo, cela ne tardera peut-être pas !…

– Occupez-vous d’épouser ma sœur, ripostait la fillette avec de grands éclats de rire. C’est une occupation qui réclame tout votre temps, et ne vous mêlez point de ce qui me regarde ! »

Ainsi que l’avait promis Mrs Hudelson, elle se disposa à visiter la maison de Lambeth-street. Le docteur était bien trop retenu dans son observatoire pour l’accompagner !

« Ce que vous ferez sera bien fait, madame Hudelson, et je m’en rapporte à vous, avait-il répondu lorsque la proposition lui fut faite. D’ailleurs, cela regarde surtout Francis et Jenny… Moi, je n’ai pas le temps…

– Voyons, papa, dit Loo, est-ce que vous ne comptez pas descendre de votre donjon le jour de la noce ?…

– Mais si … Loo… si…

– Et vous montrer à Saint-Andrew, votre fille au bras ?…

– Mais si… Loo… si…

– Et avec votre habit noir et votre gilet blanc… votre pantalon noir et votre cravate blanche ?…

– Mais si… Loo… si…

– Et n’oublierez-vous pas vos planètes pour répondre au discours que fera le révérend O’Garth ?…

– Si… Loo… si… Mais nous n’en sommes pas encore là ! et puisque le ciel est pur aujourd’hui, ce qui est assez rare en avril, allez sans moi. »

Et voilà comment Mrs Hudelson, Jenny, Loo et Francis Gordon laissèrent le docteur manœuvrer sa lunette et son télescope. Et qu’on en ait l’assurance, par ce beau soleil, c’était bien à la même manœuvre que se livrait M. Dean Forsyth dans la tour de la maison d’Elizabeth-street. Et qui sait, peut-être le météore, une première fois aperçu et perdu depuis dans les lointains de l’espace, allait-il passer une seconde devant l’objectif de leurs instruments ! …

Les visiteurs sortirent dans l’après-midi. Ils descendirent Morris-street, ils traversèrent la place de la Constitution, et reçurent au passage le salut aimable du juge de paix John Proth ; ils remontèrent Exter-street, tout comme le faisait une quinzaine de jours avant Seth Stanfort attendant Arcadia Walker ; ils atteignirent le faubourg de Wilcox et se dirigèrent vers Lambeth-street.

À noter que sur l’expresse recommandation de Loo, pour ne pas dire sur l’ordre donné par elle, Francis Gordon s’était muni d’une bonne lorgnette de théâtre. Puisque, des fenêtres de la future maison, on avait une si belle vue, au dire de Francis, la fillette entendait ne point laisser inexploré l’horizon qui s’offrait aux regards.

On arriva devant le numéro 17 de Lambeth-street. La porte fut ouverte puis refermée, et la visite commença par le rez-de-chaussée.

En vérité, cette maison était des plus agréables, bien disposée suivant les règles du confort moderne. Elle avait été entretenue avec soin. Aucune réparation à faire. Il suffirait de la meubler, et les meubles étaient déjà commandés chez le meilleur tapissier de Whaston. Par derrière, un cabinet de travail et une salle à manger prenaient sortie sur le jardin, oh ! pas grand, quelques acres seulement, mais ombragé de deux beaux hêtres, avec une pelouse  verdoyante  et des  corbeilles  où  commençaient  à  s’épanouir les premières fleurs du printemps. Dans le sous-sol, offices et cuisine éclairés, à la mode anglo-saxonne.

Le premier étage valait le rez-de-chaussée. Les chambres spacieuses étaient desservies par un couloir central. Jenny ne put que féliciter son fiancé d’avoir découvert cette jolie résidence, une sorte de villa d’un si charmant aspect. Mrs Hudelson partageait l’avis de sa fille, et, assurément, on n’aurait pu trouver mieux dans n’importe quel quartier de Whaston.

Quant à miss Loo, elle laissait volontiers sa mère, sa sœur et Francis Gordon causer ensemble tentures et mobilier. Elle voletait à tous les coins de la maison, comme un oiseau dans sa cage. Elle était enchantée, d’ailleurs, et cette villa lui convenait parfaitement. Elle le répétait toutes les fois qu’elle se rencontrait à un étage ou à l’autre avec Mrs Hudelson, Jenny et Francis.

Et, à un moment où tous se trouvaient réunis dans le salon : « Moi, j’ai fait choix de ma chambre, s’écria-t-elle.

– Votre chambre, Loo ?… demanda Francis.

– Oh ! ajouta la fillette, je vous ai laissé la plus belle, d’où l’on voit le fleuve… Moi… je respirerai l’air du jardin…

– Et, que veux-tu faire d’une chambre ?… reprit Mrs Hudelson.

– Pour habiter, mère, lorsque père et toi, vous irez en voyage…

– Mais tu sais bien que ton père ne voyage pas, ma chérie…

– Si ce n’est dans l’espace ! repartit la fillette en traçant de la main une route imaginaire à travers le ciel.

– Et qu’il ne s’absente jamais, Loo…

– Laissons faire ma sœur, dit alors Jenny. Oui… elle aura sa chambre dans notre maison, et elle y viendra toutes les fois que cela lui fera plaisir !… Et elle y demeurerait si, par hasard, mon père et toi, chère mère, quelque affaire vous appelait hors de Whaston… »

C’était là une éventualité si improbable que Mrs Hudelson n’aurait pu l’admettre.

« Eh bien… la vue… la belle vue qu’on doit avoir de là-haut ! »

Et par «là-haut » la fillette entendait cette partie supérieure de la maison, bordée d’une balustrade qui régnait à la naissance du toit. De là, le regard pouvait parcourir tous les points de l’horizon jusqu’aux collines du voisinage.

En réalité, Mrs Hudelson, Jenny et Francis eurent raison de suivre Loo. Comme le quartier de Wilcox est assez élevé, il en résultait que de la villa située à son point culminant, un vaste panorama s’offrait aux yeux. On pouvait remonter et descendre le cours du Potomac et apercevoir au-delà cette bourgade de Steel, d’où miss Arcadia Walker était partie pour rejoindre Seth Stanfort. La ville entière apparaissait avec les clochers de ses églises, les hautes toitures des édifices publics, les têtes d’arbres qui s’arrondissaient en dômes de verdure. Il fallait voir cette curieuse Loo manœuvrer sa lorgnette en tous les sens d’un quartier à l’autre ! Elle répétait :

« Voici la place de la Constitution… Voici Morris-street et j’aperçois notre demeure… avec le donjon et le pavillon qui flotte au vent !… Et il y a quelqu’un sur la terrasse…

– Votre père… dit Francis.

– Ce ne peut être que lui, déclara Mrs Hudelson.

– Lui… lui… en effet… affirma la fillette… je le reconnais… Il tient une lunette à la main… Et vous verrez qu’il n’aura pas la pensée de la diriger de ce côté !… Non !… elle est levée vers le ciel… Nous ne sommes pas si haut, père !… Par ici !… par ici !… »

Et Loo appelait, appelait, comme si le docteur Hudelson eut pu l’entendre… D’ailleurs, en admettant qu’il ne fût pas si éloigné, n’était-il point trop occupé pour répondre ?… Voici que Francis Gordon dit alors :

« Puisque vous apercevez votre maison, mademoiselle Loo, il n’est pas impossible que vous aperceviez celle de mon oncle…

– Oui, oui… répondit la fillette… laissez-moi chercher… Je la reconnaîtrai bien avec sa tour… Ce doit être de ce côté… Attendez… Bon ! Je vais mettre la lorgnette au point… Bien… bien !… la voilà… oui… la voilà ! »

Loo ne se trompait pas. C’était bien la maison de M. Dean Forsyth.

« Je la tiens… je la tiens ! » répétait-elle d’un ton triomphant comme si elle venait de faire quelque importante découverte de nature à illustrer sa petite personne.

Après une minute d’attention :

« Il y a quelqu’un sur la tour… dit-elle.

– Mon oncle assurément ! répondit Francis.

– Il n’est pas seul…

– C’est Omicron qui est avec lui !…

– Il ne faut pas demander ce qu’ils font ?… observa Mrs Hudelson.

– Ils font ce que fait mon père ! » répliqua Jenny.

Et ce fut comme une ombre de tristesse qui passa sur le front de la jeune fille. Elle craignait toujours qu’une rivalité de Dean Forsyth et du docteur Hudelson ne vint jeter quelque refroidissement entre les deux familles.