Elle était soumise désormais à ma volonté ; je n’étais plus, moi, sa chose. Je pourrais, aussi souvent que je voudrais, voir ses yeux. Avec toutes sortes de précautions, je pris le dessin et le déposai dans la cassette de tôle où je serrais mon argent ; je cachai le tout dans mon alcôve.
La nuit s’en allait à pas de loup, comme si elle s’était suffisamment reposée de ses fatigues. Des bruits lointains et légers se faisaient entendre. Peut-être un oiseau migrateur rêvait-il. Peut-être les plantes croissaient-elles. Les pâles étoiles disparurent derrière des paquets de nuages. Je sentis sur mon visage le souffle doux du matin. Le chant du coq s’éleva au loin.
Que faire du cadavre ? Du cadavre qui déjà commençait à pourrir ? J’imaginai tout d’abord de l’ensevelir dans ma chambre même, puis je songeai à l’emporter, pour le jeter au fond d’un puits, d’un puits entouré de capucines violettes. Mais, pour n’être aperçu de personne, que de calculs, de peine et que d’astuce ! De plus, je ne voulais pas qu’un regard étranger tombât sur elle. Il me fallait tout exécuter dans la solitude, et de mes propres mains. Au diable ! De quoi me servirait-il de lui survivre ? Mais elle ? Aucun homme normal, aucun autre que moi ne devait voir son cadavre. Jamais ! Elle n’était venue chez moi, me livrer son corps de glace et son ombre, que pour n’être vue de nul autre, ni souillée d’aucun regard étranger. Pour finir, j’eus une idée : dépecer son cadavre, en mettre les morceaux dans ma malle, ma vieille malle, l’emporter, loin, très loin des yeux des hommes, l’enterrer.
Je cessai d’hésiter. J’allai chercher un couteau à manche d’os, qui se trouvait dans l’alcôve. D’abord je déchirai avec d’infinies précautions le mince vêtement noir qui emprisonnait son corps, comme une toile d’araignée, seul voile qui la recouvrît. Elle paraissait grandie. Je la trouvai de taille plus haute qu’à l’ordinaire. Ensuite, je lui coupai la tête ; quelques gouttes de sang coagulé et froid coulèrent de sa gorge ; puis je lui tranchai les bras et les jambes. Je plaçai le tronc et les membres dans la malle, bien en ordre ; je les couvris de ses vêtements, ses mêmes vêtements noirs. Enfin, je rabattis le couvercle, fermai la serrure et mis la clef dans ma poche. Quand ce fut fini, je poussai un soupir de soulagement. Je soulevai le fardeau et le soupesai. C’était lourd. De ma vie je n’avais ressenti une telle fatigue. Non, jamais je ne pourrais porter seul la malle.
Le temps était de nouveau couvert ; une pluie fine s’était mise à tomber. Je sortis de ma chambre, dans l’espoir de trouver quelqu’un pour m’accompagner et se charger de la malle. Aux environs immédiats, il n’y avait âme qui vive. Un instant, je scrutai le lointain. J’aperçus, à travers le brouillard, un vieillard bossu, assis au pied d’un cyprès.
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