Essayez d’élever mon âme à la hauteur de la vôtre. Je suis ignorante, et non rebelle. Prouvez-moi que vous êtes saints, en vous montrant patients et miséricordieux, et je vous accepterai pour mes maîtres et mes modèles. »
Il y eut un moment de silence. L’examinateur se retourna vers les juges, et ils parurent se consulter. Enfin l’un d’eux prit la parole et dit :
« Consuelo, tu t’es présentée ici avec orgueil ; pourquoi ne veux-tu pas te retirer de même ? Nous avions le droit de te blâmer, puisque tu venais nous interroger. Nous n’avons pas celui d’enchaîner ta conscience et de nous emparer de ta vie, si tu ne nous abandonnes volontairement et librement l’une et l’autre. Pouvons-nous te demander ce sacrifice ? Tu ne nous connais pas. Ce tribunal dont tu invoques la sainteté est peut-être le plus pervers ou tout au moins le plus audacieux qui ait jamais agi dans les ténèbres contre les principes qui régissent le monde : qu’en sais-tu ? Et si nous avions à te révéler la science profonde d’une vertu toute nouvelle, aurais-tu le courage de te vouer à une étude si longue et si ardue, avant d’en savoir le but ? Nous-mêmes pourrions-nous prendre confiance dans la foi persévérante d’un néophyte aussi mal préparé que toi ? Nous aurions peut-être des secrets importants à te confier, et nous n’en chercherions la garantie que dans tes instincts généreux ; nous les connaissons assez pour croire à ta discrétion : mais ce n’est pas de confidents discrets que nous avons besoin ; nous n’en manquons pas. Nous avons besoin, pour faire avancer la loi de Dieu, de disciples fervents, libres de tous préjugés, de tout égoïsme, de toutes passions frivoles, de toutes habitudes mondaines. Descends en toi-même ; peux-tu nous faire tous ces sacrifices ? Peux-tu modeler tes actions et calquer ta vie sur les instincts que tu ressens, et sur les principes que nous te donnerions pour les développer ? Femme, artiste, enfant, oserais-tu répondre que tu peux t’associer à des hommes graves pour travailler à l’œuvre des siècles ?
– Tout ce que vous dites est bien sérieux, en effet, répondit Consuelo, et je le comprends à peine. Voulez-vous me donner le temps d’y réfléchir ? Ne me chassez pas de votre sein sans avoir interrogé mon cœur. J’ignore s’il est digne des lumières que vous y pouvez répandre. Mais quelle âme sincère est indigne de la vérité ? En quoi puis-je vous être utile ? Je m’effraie de mon impuissance. Femme et artiste, c’est-à-dire enfant ! mais pour me protéger comme vous l’avez fait, il faut que vous ayez pressenti en moi quelque chose... Et moi, quelque chose me dit que je ne dois pas vous quitter sans avoir essayé de vous prouver ma reconnaissance. Ne me bannissez donc pas : essayez de m’instruire.
– Nous t’accordons encore huit jours pour faire tes réflexions, reprit le juge en robe rouge qui avait déjà parlé ; mais tu dois auparavant t’engager sur l’honneur à ne pas faire la moindre tentative pour savoir où tu es, et quelles sont les personnes que tu vois ici. Tu dois t’engager également à ne pas franchir l’enceinte réservée à tes promenades, quand même tu verrais les portes ouvertes et les spectres de tes plus chers amis te faire signe. Tu dois n’adresser aucune question aux gens qui te servent, ni à quiconque pourrait pénétrer clandestinement chez toi.
– Cela n’arrivera jamais, répondit vivement Consuelo ; je m’engage, si vous le voulez, à ne jamais recevoir personne sans votre autorisation, et en revanche je vous demande humblement la grâce...
– Tu n’as point de grâce à nous demander, point de conditions à proposer. Tous les besoins de ton âme et de ton corps ont été prévus pour le temps que tu avais à passer ici. Si tu regrettes quelque parent, quelque ami, quelque serviteur, tu es libre de partir. La solitude ou une société réglée comme nous l’entendons sera ton partage chez nous.
– Je ne demande rien pour moi-même ; mais on m’a dit qu’un de vos amis, un de vos disciples ou de vos serviteurs (car j’ignore le rang qu’il occupe parmi vous) subissait à cause de moi un châtiment sévère. Me voici prête à m’accuser des torts qu’on lui impute, et c’est pour cela que j’ai demandé à comparaître devant vous.
– Est-ce une confession sincère et détaillée que tu offres de nous faire ?
– S’il le faut pour qu’il soit absous... quoique ce soit, pour une femme, une étrange torture morale que de se confesser hautement devant huit hommes.
– Épargne-toi cette humiliation. Nous n’aurions aucune garantie de ta sincérité, et d’ailleurs nous n’avions encore tout à l’heure aucun droit sur toi. Ce que tu as dit, ce que tu as pensé il y a une heure, rentre pour nous dans ton passé. Mais songe qu’à partir de cet instant nous sommes les maîtres de sonder les plus secrets replis de ton âme. C’est à toi de garder cette âme assez pure pour être toujours prête à nous la dévoiler sans souffrance et sans honte.
– Votre générosité est délicate et paternelle. Mais il ne s’agit pas de moi seule ici. Un autre expie mes torts. Ne dois-je pas le justifier ?
– Ce soin ne te regarde pas.
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