Ensuite de quoi, s'adressant aux paysans, debout et
respectueusement découverts à l'entrée :
– Où avez-vous trouvé ce débris de cartouche, mes amis ?
interrogea-t-il.
– Tout près de cette vieille tour, qui reste du vieux château,
où l'on serre des outils et qui est toute couverte de lierre.
Déjà M. Séneschal avait maîtrisé la stupeur dont il avait été
saisi en voyant blêmir et se taire le comte de Claudieuse.
– Assurément, fit-il, ce n'est pas de là que l'assassin a tiré.
De cette place, on ne voit même pas l'entrée de la maison.
– C'est possible, répondit le juge, mais l'enveloppe d'une
cartouche ne tombe pas nécessairement à l'endroit d'où l'on fait
feu. Elle tombe quand on ouvre le tonnerre de l'arme pour
recharger…
C'était si exact que le docteur Seignebos lui-même n'osa pas
protester.
– Maintenant, mes amis, reprit M. Galpin-Daveline, lequel de
vous a trouvé ce débris de cartouche ?
– Nous étions ensemble quand nous l'avons aperçu et ramassé.
– Eh bien ! dites-moi tous trois votre nom et votre
domicile, pour que je puisse, au besoin, vous faire citer
régulièrement.
Ils obéirent, et cette formalité remplie, ils se retiraient,
après force salutations, quand le galop d'un cheval retentit sur
l'aire qui précédait la maison.
L'instant d'après, l'homme qui avait été expédié à Sauveterre
pour chercher des médicaments entrait. Il était furieux.
– Gredin de pharmacien ! s'écria-t-il, j'ai cru que jamais
il ne m'ouvrirait !
Le docteur Seignebos s'était emparé des objets qu'on lui
rapportait.
S'inclinant alors devant le juge d'instruction, d'un air
d'ironique respect :
– Je n'ignore pas, monsieur, dit-il, combien il est urgent de
faire couper le cou de l'assassin, mais je crois aussi pressant de
sauver la vie de l'assassiné. J'ai interrompu le pansement de
monsieur de Claudieuse plus peut-être que ne le permettait la
prudence. Et je vous prie de vouloir bien me laisser seul faire en
paix mon métier…
Chapitre 6
Rien, désormais, ne retenait plus le juge d'instruction, le
procureur de la République ni M. Séneschal. À coup sûr, M.
Seignebos eût pu s'exprimer plus convenablement, mais on était fait
aux façons brutales de ce cher docteur, car elle est inouïe, la
facilité avec laquelle, en notre pays de courtoisie, les êtres les
plus grossiers se font accepter, sous prétexte qu'ils sont comme
cela et qu'il faut bien les prendre tels qu'ils sont.
Donc, après avoir salué la comtesse de Claudieuse, après avoir
serré la main du comte en lui promettant de promptes et sûres
informations, ils sortirent.
Faute d'aliments, l'incendie s'éteignait. Quelques heures
avaient suffi pour anéantir le fruit de longues années de soins et
de travaux incessants. De ce domaine charmant et tant envié du
Valpinson, rien ne restait plus que des pans de murs calcinés et
croulants, des amas de cendres noires et des monceaux de décombres
d'où montaient encore des spirales de fumée.
Grâce au capitaine Parenteau, tout ce qu'on avait pu arracher
aux flammes avait été transporté à une certaine distance et mis à
l'abri vers les ruines du vieux château. Là s'entassaient les
meubles et les effets sauvés. Là se voyaient les charrettes et les
instruments d'agriculture, des harnais, des barriques vides, des
sacs d'avoine ou de blé. Là étaient attachés les bestiaux qu'on
était parvenu, au prix de mille dangers, à tirer de leurs écuries :
des chevaux, des bœufs, quelques moutons et une douzaine de vaches
qui meuglaient lamentablement.
Peu de gens s'étaient éloignés. Avec plus d'acharnement que
jamais, les pompiers, aidés des paysans, continuaient à inonder les
restes du bâtiment principal. Ils n'avaient rien à redouter du feu,
mais ils conservaient le vague espoir de préserver d'une
carbonisation complète les corps de Bolton et de Guillebault, ces
deux infortunés qui avaient péri victimes de leur courage.
– Quel fléau que le feu !… murmura M. Séneschal.
Ni M. Daubigeon ni M. Galpin-Daveline ne répondirent. Eux aussi,
même après tant d'émotions violentes, ils se sentaient le cœur
serré par le sinistre spectacle qui s'offrait à leurs regards.
C'est qu'un incendie n'est rien, sur le moment même, tant que
dure la fièvre du péril et l'espoir du salut, tant que les flammes
éclairent l'horizon de leurs rouges reflets ! Le lendemain
seulement, quand tout est fini, éteint, on mesure l'horreur du
désastre.
Mais les pompiers venaient d'apercevoir le maire de Sauveterre
et ils le saluaient de leurs acclamations. Rapidement il se dirigea
vers eux, et pour la première fois depuis que l'alarme avait été
donnée, le juge d'instruction et le procureur de la République se
trouvèrent seuls.
Ils étaient debout, très rapprochés, et pendant un bon moment
ils gardèrent le silence, chacun cherchant à surprendre dans les
yeux de l'autre le secret de ses pensées.
Enfin :
– Eh bien ?… demanda M. Daubigeon.
M. Galpin-Daveline tressaillit.
– C'est une épouvantable affaire ! murmura-t-il.
– Quelle est votre opinion ?
– Eh ! le sais-je moi-même !… J'ai la tête perdue, il
me semble que je suis le jouet d'un infernal cauchemar !
– Croiriez-vous donc à la culpabilité de monsieur de
Boiscoran ?
– Je ne crois rien. Ma raison me crie qu'il est innocent, qu'il
ne peut pas ne pas l'être, et cependant je vois s'élever contre lui
des charges accablantes.
Le procureur de la République était consterné.
– Hélas ! murmura-t-il, pourquoi vous êtes-vous obstiné,
envers et contre tous, à interroger Cocoleu, un malheureux
idiot !…
Mais le juge d'instruction se révolta.
– Me reprocheriez-vous donc, monsieur, interrompit-il
violemment, d'avoir obéi aux inspirations de ma
conscience ?
– Je ne vous reproche rien.
– Un crime abominable a été commis ; tout ce qui était
humainement possible, mon devoir me commandait de le tenter pour en
découvrir l'auteur.
– Oui !… Et l'homme qu'on accuse est votre ami, et hier
encore vous mettiez son amitié au nombre de vos meilleures chances
d'avenir…
– Monsieur !
– Cela vous étonne que je sois si exactement informé ?
Allez, rien n'échappe à la curiosité désœuvrée des petites villes…
Je sais que votre espoir le plus cher était d'entrer dans la
famille de monsieur de Boiscoran, et que vous comptiez sur son
appui pour obtenir la main d'une de ses cousines…
– Je ne le nie pas.
– Malheureusement, vous avez été séduit par la perspective d'une
affaire retentissante ; vous avez oublié toute prudence, et
voilà vos projets à vau-l'eau. Que monsieur de Boiscoran soit
innocent ou coupable, jamais sa famille ne vous pardonnera votre
intervention. Coupable, elle vous reprochera de l'avoir livré à la
cour d'assises ; innocent, elle vous reprochera plus
cruellement encore de l'avoir soupçonné.
Peut-être pour cacher son trouble, M. Galpin-Daveline baissait
la tête.
– Que feriez-vous donc à ma place, monsieur ?
interrogea-t-il.
– Je me récuserais, répondit M. Daubigeon, quoiqu'il soit déjà
bien tard.
– Ce serait compromettre ma carrière.
– Cela vaudrait mieux que de vous charger d'une affaire où vous
n'apporterez ni le calme, ni la froide impartialité qui sont les
premières et les plus indispensables vertus d'un magistrat
instructeur.
Le juge peu à peu s'irritait.
– Monsieur ! s'écria-t-il, me croyez-vous donc homme à me
laisser détourner de mon devoir par des considérations d'amitié ou
d'intérêt personnel ?
– Je ne dis pas cela.
– Ne venez-vous pas de me voir à l'œuvre ! Ai-je bronché,
quand le nom de monsieur de Boiscoran est tombé des lèvres de
Cocoleu ? S'il se fût agi d'un autre, peut-être en serais-je
resté là. Mais monsieur de Boiscoran est mon ami, mais j'ai
beaucoup à attendre de lui, et, pour cela précisément, j'ai insisté
et persisté, et j'insiste et je persiste encore.
Le procureur de la République haussait les épaules.
– C'est bien cela, fit-il. Parce que monsieur de Boiscoran est
votre ami, de peur d'être taxé de faiblesse, vous allez être dur
avec lui, impitoyable, injuste même… Parce que vous aviez beaucoup
à attendre de lui, vous voudrez absolument le trouver
coupable ! Et vous vous dites impartial !
M.
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