Tout en lui, de la tête aux pieds, depuis ses
guêtres de drap jusqu'à ses favoris d'un blond risqué, dénonçait le
magistrat. Il n'était pas grave, il était l'incarnation de la
gravité. Nul, bien qu'il fût jeune encore, ne se pouvait flatter de
l'avoir vu sourire ni entendu plaisanter. Et, telle était sa
roideur, qu'au dire de M. Daubigeon, on l'eût cru empalé par le
glaive même de la loi.
À Sauveterre, M. Galpin-Daveline avait la réputation d'un homme
supérieur. Il pensait l'être. Aussi s'indignait-il d'opérer sur un
théâtre trop étroit et de dépenser les grandes facultés dont il se
croyait doué à des besognes vulgaires, à rechercher les auteurs
d'un vol de fagots ou de l'effraction d'un poulailler. C'est que
ses démarches désespérées pour obtenir un poste en évidence avaient
toujours échoué. Vainement, il avait mis tous ses amis en campagne.
Inutilement, il s'était, en secret, mêlé de politique, disposé à
servir le parti, quel qu'il fût, qui le servirait le mieux.
Mais l'ambition de M. Galpin-Daveline n'était pas de celles qui
se découragent, et en ces derniers temps, à la suite d'un voyage à
Paris, il avait donné à entendre qu'un brillant mariage ne
tarderait pas à lui assurer les protections qui, jusqu'alors,
avaient manqué à ses mérites.
Lorsqu'il rejoignit M. Séneschal et M. Daubigeon :
– Eh bien ! commença-t-il, voici une terrible affaire, et
qui va certainement avoir un immense retentissement.
Le maire voulait lui donner des détails.
– Inutile, lui dit-il. Tout ce que vous savez, je le sais. J'ai
rencontré et interrogé le paysan qui vous avait été expédié. (Puis,
se retournant vers le procureur de la République) : Je pense,
monsieur, poursuivit-il, que notre devoir est de nous transporter
immédiatement sur le théâtre du crime.
– J'allais vous le proposer, répondit M. Daubigeon.
– Il faudrait avertir la gendarmerie…
– Monsieur Séneschal vient de la faire prévenir. L'agitation du
juge d'instruction était grande, si grande qu'elle faisait en
quelque sorte éclater son écorce d'impassible froideur.
– Il y a flagrant délit, reprit-il.
– Évidemment.
– De telle sorte que nous pouvons agir de concert, et
parallèlement, chacun selon notre fonction, vous requérant, moi
statuant sur vos réquisitions…
Un ironique sourire glissait sur les lèvres du procureur de la
République.
– Vous devez assez me connaître, répondit-il, pour savoir qu'il
n'y a jamais avec moi de conflit d'attributions ; je ne suis
plus qu'un vieux bonhomme, ami du repos et de l'étude. Sum
piger et senior, Pieridumque cornes…
– Alors, rien ne nous retient plus ! s'écria M. Séneschal,
qui bouillait d'impatience, ma voiture est attelée !
Partons !
Chapitre 2
De Sauveterre au Valpinson, par la traverse, on ne compte qu'une
lieue ; seulement c'est une lieue de pays, elle a sept
kilomètres.
Mais M. Séneschal avait un bon cheval, le meilleur peut-être de
l'arrondissement, affirmait-il, en montant en voiture, à M.
Galpin-Daveline et à M. Daubigeon. Le fait est qu'en moins de dix
minutes ils eurent rejoint les pompiers, partis bien avant eux.
Ces braves gens, presque tous maîtres ouvriers de Sauveterre,
maçons, charpentiers et couvreurs, se hâtaient cependant de toute
leur énergie. Éclairés par une demi-douzaine de torches fumeuses,
ils allaient, peinant et soufflant, le long du chemin raboteux,
poussant leurs deux pompes et le chariot qui contenait le matériel
de sauvetage.
– Courage, mes amis ! leur cria le maire en les dépassant.
Bon courage !
À trois minutes de là, galopant dans la nuit du train d'un
cavalier de ballade, un paysan à cheval apparut sur la route.
M. Daubigeon lui commanda de s'arrêter. Il obéit. C'était le
même homme qui déjà était venu à Sauveterre donner l'alarme.
– Vous revenez du Valpinson ? lui demanda M. Séneschal.
– Oui, répondit le paysan.
– Comment va le comte de Claudieuse ?
– Il a repris connaissance.
– Qu'a dit le médecin ?
– Qu'il s'en tirera probablement. Et moi je cours chez le
pharmacien chercher des remèdes.
Pour mieux entendre, M. Galpin-Daveline, le juge d'instruction,
se penchait hors de la voiture.
– La rumeur publique accuse-t-elle quelqu'un ?
demanda-t-il.
– Personne.
– Et l'incendie ?
– On a de l'eau, répondit le paysan, mais pas de pompes, que
voulez-vous qu'on fasse !… Et le vent qui redouble !…
Ah ! quel malheur, quel malheur !
Et il piqua des deux, pendant que M.
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