– Il demeure au cinquième, la porte à droite, répondis-je. – Bon !… fit le commissaire. Et le voilà dans l’escalier avec ses hommes.

« Mais il ne m’avait pas défendu de le suivre.

« Vite, je mets la tasse et la cafetière sur un plateau, et dare-dare je grimpe après lui, pour voir…

« Ah ! si j’avais pu prévenir M. Jean !… Il ne se doutait de rien. Il était déjà dans son atelier, en train de peindre, le dos tourné à la porte, qu’il avait laissée ouverte à cause du poêle qui fume quand on l’allume. Et il était tellement à la besogne, qu’en entendant marcher dans l’atelier, sans se retourner, il dit : – Qui va là ?…

« – Au nom de la loi, je vous arrête ! répondit le commissaire.

« Messieurs je n’ai jamais vu un étonnement comme celui de ce pauvre M. Jean.

« – Vous m’arrêtez, moi, fit-il, et pourquoi ? Le commissaire haussa les épaules : – On vous le dira, répondit-il. Habillez-vous et suivez-nous…

« Vous devez savoir, messieurs, que M. Jean a la tête près du bonnet. En s’entendant parler si brutalement, il devint plus rouge que braise, et je crus qu’il allait jeter sa palette à la tête du commissaire… Mais il réfléchit heureusement, et c’est le plus tranquillement du monde qu’il se mit à s’habiller pendant que le commissaire et ses hommes furetaient dans tous les coins et fouillaient tous les tiroirs… Il disait seulement en riant : – Si vous trouvez quelque chose, vous me le ferez savoir, n’est-ce pas ?…

« Étant prêt, il demanda la permission d’écrire à sa mère, mais on lui dit que cela ne se pouvait pas… et on l’emmena.

« Devant la porte était une voiture. On l’y fit monter, deux agents montèrent après lui, et le commissaire ayant crié : – En route ! le cocher fouetta ses chevaux.

Aux derniers mots de la digne portière, les deux jeunes gens respirèrent plus librement.

Ils se rappelaient que Jean Cornevin, lors de sa première arrestation avait été surtout compromis par les papiers et les dessins découverts chez lui.

Cette fois, du moins, on n’avait rien trouvé.

– L’important, à cette heure, reprit Léon, serait de savoir où mon pauvre frère a été conduit…

La concierge s’était remise à pleurer.

– Hélas ! mes bons messieurs, répondit-elle, c’est ce que je ne puis vous apprendre… Et cependant, Dieu sait que j’étais tout oreilles. Mais le cocher devait avoir reçu des ordres d’avance, car le commissaire ne lui a rien crié que ce que je vous ai rapporté : – En route !…

– Et à vous, ma bonne dame, il n’a rien dit, ce commissaire ?

– Rien.

– Il ne vous a fait aucune recommandation ?…

– Aucune… C’est-à-dire, excusez : avant de se retirer, il m’a remis la clef de M. Jean, en me disant de la faire parvenir à ses parents, et en ajoutant qu’il me rendait responsable de tout ce qui se trouve dans l’appartement…

Léon frissonna.

Cette précaution du commissaire de police n’annonçait-elle pas une détermination arrêtée et la conviction que Jean ne renterait pas chez lui de si tôt !…

– Oh ! Jean ! murmurait Raymond, en proie à une de ces rages froides qui poussent un homme de cœur aux plus fatales extrémités, cher et malheureux ami !…

Mais Léon, lui, gardait tout son sang-froid.

– Donnez-moi donc cette clef, dit-il à la concierge, nous allons monter jusque chez mon frère…

À la seule vue de cet humble logis d’artiste, un observateur devait reconnaître la parfaite exactitude du récit de la portière.

Que Jean travaillât, quand la police avait fait irruption chez lui, c’est ce dont on ne pouvait douter : les dernières touches n’étaient pas sèches encore du tableau qu’il avait en train, et qui représentait une Halte de bohémiens dans les ruines du cirque de Fréjus.

Sa stupeur avait été grande, car son tabouret était renversé, et on voyait épars à terre ses pinceaux, sa palette faite du matin et quantité de tubes de couleur.

Même, les agents insoucieux du logis où ils pénétraient avaient écrasé sous leurs lourdes bottes plusieurs de ces tubes…

À la façon dont les vêtements de travail du pauvre artiste étaient jetés çà et là, on devinait son empressement à se vêtir.

Enfin, tout portait l’empreinte de la main brutale de la police, en quête de pièces de conviction et de papiers compromettants.

– Nous n’avons pas une minute à perdre, déclara Léon ; si nous ne parvenons pas à savoir aujourd’hui même ce qu’on a fait de mon frère, nous ne pourrons plus rien pour lui.

C’est rue Blanche, chez Mme Delorge, qu’ils se rendirent tout d’abord.

Et en apprenant ce nouveau malheur :

– Ne vous y trompez pas, s’écria la noble femme, je reconnais l’œuvre de M. de Combelaine. Et, moins généreuse que ne l’avait été Léon :

– Voilà, dit-elle à son fils, voilà le résultat de votre provocation insensée !…

Plus exaspéré que tous, l’excellent M. Ducoudray donnait presque raison à Raymond.

– Car enfin, disait-il, je ne vois pas pourquoi M. de Combelaine ne nous ferait pas tous arrêter et déporter…

Cependant, avant de discuter les démarches à tenter, il fut convenu que, jusqu’à nouvel ordre, on laisserait ignorer à Mme Cornevin l’arrestation de son fils.

Si on parvenait à obtenir la mise en liberté de Jean, ce serait une immense douleur et de nouvelles inquiétudes qu’on aurait épargnées à la pauvre femme.

Dans le cas contraire, il serait toujours temps de la préparer à cette cruelle épreuve. Précaution inutile, hélas !

Le mari de la concierge de Jean, étant accouru prévenir Léon et ne l’ayant pas rencontré, avait demandé à parler à sa mère, et lui avait tout dit.

Et Mme Delorge et M. Ducoudray, Léon et Raymond en étaient encore à délibérer sur ce qu’ils avaient à faire, lorsque Mme Cornevin entra brusquement, plus pâle qu’une morte, les yeux brillants de l’éclat du délire.

Quoi que lui eût dit le portier, elle doutait, elle s’obstinait à douter encore.

– Est-ce vrai ?… demanda-t-elle, dès le seuil. Et personne ne lui répondant :

– Ainsi, c’est bien la vérité ! prononça-t-elle, les misérables ne se lassent pas… Après mon mari, mon fils… Et moi, en venant ici, j’ai failli être écrasée par une voiture où j’ai reconnus, souriant et heureux, M. de Combelaine et Flora Misri… Ô Dieu puissant ! comment ne douterait-on pas de ta justice !…

Et, écrasée de douleur, elle s’affaissa sur un fauteuil en éclatant en sanglots…

Pourtant Jean Cornevin n’était pas abandonné.

Tandis que ses amis s’épuisaient à chercher un moyen d’arriver jusqu’à lui, le valet de chambre de Me Roberjot se présenta avec une nouvelle lettre de son maître.

« En même temps qu’à vous, ce matin, écrivait-il à Léon, j’envoyais un mot à ce pauvre Jean… Hélas ! j’ai été prévenu trop tard. Lorsque mon commissionnaire s’est présenté chez lui, il venait d’être arrêté. Faites tout au monde pour savoir où on l’a conduit ; de mon côté, je me mets en campagne… »

Mais c’est en vain que, durant quatre jours, les amis du pauvre Jean le demandèrent à toutes les geôles de Paris.

Les seules nouvelles qu’ils en obtinrent furent données à Léon par un chef de bureau de la préfecture de police, plus froid qu’une corde à puits, et plus discret qu’une porte de prison.

– Monsieur, lui répondit-il, votre frère est en bonne santé, voilà tout ce que je puis vous dire aujourd’hui… Repassez dans une quinzaine…

– C’est ce qu’on me répondait quand j’allais m’informer de mon mari, gémissait Mme Cornevin. Je ne reverrai plus mon fils.

Son désespoir l’abusait.

Un matin, le cinquième depuis l’enlèvement de Jean, un de ses camarades d’atelier apporta une lettre qu’il venait de recevoir, et que Jean lui adressait, à lui, dans la crainte que le nom de Cornevin ne fût signalé au cabinet noir…

Jean écrivait à sa mère :

« Je ne cesse de demander la permission de t’écrire, on ne se lasse pas de me la refuser. Un forçat avec qui je viens de causer me jure qu’il me fera jeter une lettre à la poste si je lui donne dix francs ; je lui en donnerais mille, si j’étais sûr que ce mot vous parvînt.

« Je suis à Marseille depuis hier, et jamais je ne me suis si bien porté. Ayant flairé, quand on est venu me prendre, le voyage d’agrément qu’on me réserve, je me suis muni de linge, d’effets et d’argent – car, vois mon bonheur, j’avais de l’argent chez moi ce jour-là.

« Tout me porte à croire que, ce soir ou demain, je serai embarqué pour la Guyane. Ô mère adorée, si je n’étais pas sûr que tu pleures en ce moment, je me sentirais tout heureux du beau voyage que je vais faire… Songe donc aux magnifiques sujets d’études que je vais trouver… Je te reviendrai ayant du talent… Ne pleure pas, mère chérie. Léon t’embrassera pour deux pendant mon absence… Moi, je vous embrasse de toute mon âme… »

Cette lettre attendrie, où éclatait en dépit de tout l’insouciance railleuse de Jean, calma pour un moment la douleur de Mme Cornevin, mais ne dissipa point ses mortelles angoisses.

Elle se représentait son fils bien-aimé, confondu parmi les plus vils criminels sur le préau d’une prison, et réduit pour lui faire parvenir quelques lignes à payer l’assistance et l’astuce d’un forçat.

Elle se le représentait traîné de nuit au port, entre une double haie de soldats, et embarqué furtivement.

Elle le suivait, par la pensée, tout le long de cette douloureuse et interminable traversée où l’avaient précédé, à cinquante ans de distance, Barbé-Marbois, le général Ramel et Pichegru.

– Je ne reverrai plus mon fils ! répétait-elle.

Cependant, au reçu de la lettre de Jean, Raymond et Léon étaient partis pour Marseille, espérant parvenir jusqu’au malheureux et lui serre la main, espérant à tout le moins le voir, en être vus, et lui prouver par leur présence qu’il n’était pas oublié…

Ils arrivèrent trop tard.

Le vaisseau où avait été embarqué Jean était parti depuis deux heures…

Cela leur fut dit par une pauvre jeune femme qu’ils rencontrèrent sur la jetée.

Elle tenait un enfant entre ses bras et, appuyée contre le parapet, elle regardait obstinément l’horizon.

Loin, bien loin, un léger nuage flottait dans l’azur du ciel. Elle le montra aux deux jeunes gens, et d’une voix expirante :

– C’est de la fumée, leur dit-elle, de la fumée du navire…

Hélas ! il emportait son mari, le père de son enfant.

Par cette pauvre femme, Raymond et Léon surent que ce vaisseau n’emportait pas de forçats et qu’il était commandé par un homme de cœur incapable d’aggraver le sort déjà si triste des transportés politiques.

– Mais moi, gémissait l’infortunée, que vais-je devenir ? que va devenir mon enfant ?…

Combien de plaintes pareilles montaient alors vers le Dieu de justice, de tous les points de la France !

On l’ignorait. Personne n’osait élever la voix. Les journaux, dont l’existence était fort compromise, se taisaient.

Ce qu’on savait, par exemple, c’est que le général Espinasse, le nouveau ministre de la guerre, n’y allait pas de main morte, et que ses préfets procédaient militairement…

Et cependant, l’empire, si fort en apparence, si bien armé contre ses ennemis, ne se sentait ni plus tranquille, ni plus assuré du lendemain.

Il se voyait, en quelque sorte, acculé à la nécessité de faire quelque chose pour sortir la France de ce calme mystérieux, pour secouer ce silence effrayant à force d’être profond.

Ce quelque chose, ce ne pouvait être que la guerre.

Un instant, le gouvernement impérial hésita entre deux terrains qui lui paraissaient également favorables : l’Italie et la Pologne.

Ce fut l’Italie, servie par le génie de Cavour, qui l’emporta.

Et le 3 mai 1859, l’empereur annonça à la France qu’il tirait l’épée pour l’indépendance du peuple italien, et qu’il ne la remettrait au fourreau qu’après avoir fait l’Italie libre jusqu’à l’Adriatique.

On s’attendait, depuis le 1er janvier, à une guerre avec l’Autriche, et cependant l’émotion fut grande.

Émotion joyeuse, toutefois, car cette guerre si impolitique provoquait dans toutes les classes le plus vif enthousiasme.

On applaudissait les régiments qui, tambours battants et enseignes déployées, traversaient Paris.

Et quand, le 10 du mois de mai, l’empereur sortit des Tuileries pour se rendre à la gare de Lyon, il fut accueilli par des acclamations telles que jamais il ne devait plus en entendre.

Ce jour fut le jour de popularité de son règne…

– Vois plutôt, disait Raymond Delorge à Léon Cornevin, vois…

Mais ce n’était pas de ce coup que l’Italie devait être libre jusqu’à l’Adriatique.

Après la victoire de Magenta un moment indécise, qui valut au général Mac-Mahon le bâton de maréchal et le titre de duc, et où le général Espinasse fut tué ;

Après la glorieuse et sanglante victoire de Solférino ;

Voici que tout à coup on apprit que l’empereur des Français et l’empereur d’Autriche, Napoléon III et François-Joseph, avaient eu une entrevue à Villafranca et s’y étaient mis d’accord et que la paix allait être signée.

Les promesses de la proclamation impériale étaient-elles donc remplies ? Non. Alors pourquoi cette paix qui irritait les Italiens ? Pourquoi s’arrêter en si beau chemin ?

Les uns disaient que l’empereur avait eu peur de la révolution, dont il voyait se ranimer toutes les espérances.

Les autres, qu’il avait cédé aux représentations de toutes les puissances de l’Europe, pour ne pas allumer une guerre générale.

Quoi qu’il en soit, la déception fut cruelle, et grande l’irritation.

Le retour ne ressemblait guère au départ.

– À quoi nous a servi cette guerre ? se demandait-on.

Aussi est-ce avec une certaine aigreur qu’on commençait à discuter cette campagne si heureuse au début et si brusquement interrompue.

Si courte qu’elle eût été, elle avait fait ressortir tous les côtés faibles de notre organisation militaire.

La concentration des troupes ne s’était pas faite, il s’en faut, avec la rapidité qu’on s’était promise.

Nombre de services avaient été reconnus notoirement insuffisants. Il était arrivé souvent que nos soldats avaient manqué de vivres. Ils avaient une ou deux fois manqué de munitions.

On avait vu aussi que l’accord n’était pas précisément parfait entre les chefs de l’armée, et que le patriotisme n’éteignait pas dans leur cœur le souci des rivalités d’ambition.

La paix était à peine signée qu’une polémique s’engageait entre le maréchal Niel et le maréchal Canrobert, si acerbe et si violente que, sans l’intervention personnelle de l’empereur, elle se fût certainement terminée sur le terrain…

Décidément, au lieu des immenses avantages qu’il s’en était promis, le gouvernement impérial ne retirait que déboires de cette guerre d’Italie.

Il avait conquis le droit, c’est vrai, d’ajouter à la liste héroïque des victoires françaises deux noms glorieux, Solférino et Magenta.

Mais il venait de se faire un implacable ennemi de ce peuple qu’il était allé secourir, dont il avait exalté outre mesure, puis tout à coup trompé les espérances.

Mais il venait de compliquer ses embarras de la question romaine qui allait être son incurable plaie.

Et cependant, tout en accusant les Italiens d’ingratitude, il ne pouvait pas avouer sa déconvenue.

Avec ses extraordinaires prétentions d’arbitre de l’Europe, de restaurateur de la liberté des peuples et de soldat de l’Idée et du Droit, l’empereur Napoléon III ne pouvait pas perpétuer le système de répression à outrance qui avait suivi l’attentat d’Orsini.

La loi de sûreté générale ne fut point abrogée – c’était une trop bonne arme pour qu’on y renonçât.

Mais, le 15 août 1859, un décret parut au Moniteur, où il était dit :

« Amnistie pleine et entière est accordée à tous les individus qui ont été l’objet de mesures de sûreté générale. »

– Grand Dieu !… s’écria Mme Cornevin, lorsque Raymond Delorge lui apporta le journal, je vais donc revoir mon fils !…

C’est que les sinistres appréhensions de la pauvre mère ne s’étaient pas réalisées.

Jean vivait. Sa santé ne s’était pas ressentie du climat de la Guyane. Il avait, depuis un an, donné fréquemment de ses nouvelles.

Après une interminable traversée, pénible, malgré les efforts du commandant pour lui en épargner les plus rudes souffrances, Jean avait été interné à l’île du Diable.

C’est la plus petite île des îles du Salut ; – elle n’a pas trois kilomètres de tour, et sa plus grande largeur n’excède pas quatre cents mètres.

C’est aussi la plus triste, tous les grands arbres en ayant été abattus après qu’on eût reconnu qu’ils fournissaient aux transportés des matériaux pour se construire des canots et tenter des évasions impossibles.

« Pour la première fois, écrivait Jean à son frère, je me sentis pris d’un affreux découragement lorsque j’aperçus presque au ras de l’eau ce triste banc de sable, incessamment battu par tous les vents de la mer, sans autre végétation que des arbustes rabougris, où la civilisation ne se révèle que par les établissements pénitenciers, moitié casernes et moitié prisons. »

Mais Jean, par bonheur, n’était pas d’un caractère à se laisser si aisément abattre.

« Ce serait faire trop beau jeu à ceux qui m’ont envoyé ici, disait-il dans une de ses lettres ; et puisque c’est le seul moyen qui soit en mon pouvoir de leur être désagréable, je vais leur jouer le mauvais tour de me porter comme un charme et de rester gai comme un pinson. »

Il réussit à se tenir parole, surmontant sans sourciller tous les dégoûts de la vie commune avec des êtres grossiers et dégradés, se soumettant sans un murmure à toutes les exigences de la plus rude des disciplines.

Il lui parut d’ailleurs, et il ne cessait de le répéter sous toutes les formes, qu’on avait exagéré l’insalubrité du climat.

« J’ai beau me tâter le pouls soir et matin, écrivait-il encore, me tirer la langue dans mon miroir à barbe, interroger anxieusement les moindres tressaillements de mon estomac, je ne me découvre aucun symptôme du plus léger mal. Il m’a fallu un peu de temps pour me faire au régime alimentaire, mais j’y suis fait maintenant. Le gouverneur de l’île, qui est un sous-lieutenant d’infanterie de marine, me rencontrant hier, m’a dit d’un ton de stupeur profonde : – Dieu me pardonne, je crois que vous engraissez !… – Est-ce défendu ? lui ai-je demandé. Ce n’est pas défendu, de sorte que – c’est entendu, – je vous reviendrai plus gras que je ne suis parti. »

– Quel homme que ce Jean ?… disait M. Ducoudray, émerveillé de cette intarissable bonne humeur ; sur l’échafaud il plaisanterait encore…

Ce qu’il faut dire, c’est que la situation de Jean à l’île du Diable n’avait pas tardé à s’améliorer sensiblement.

Sur des ordres venus de Cayenne, il avait été exempté de toute corvée, dispensé des appels et autorisé à habiter une case.

Ainsi, il était prisonnier, mais l’île entière était sa prison. Il s’appartenait. Il échappait aux odieuses et désolantes exigences du dortoir commun, à cette promiscuité de toutes les heures.