Qui dit droit, n’est-ce pas, dit aussi inflexible. Vous étiez le bon sens inflexible. Alors que la plupart des valeurs brillantes révélaient brusquement leur impuissance et leur malfaisance, nous menaçant ainsi d’une faillite spirituelle mille fois plus désastreuse que la faillite militaire, la France s’est repliée sur vous, sur le bon sens populaire, comme un homme pressé de toutes parts s’adosse à un mur pour faire face. Vous opposiez le Bon Sens au Réalisme. S’il n’y avait que des salauds dans le monde, le Réalisme serait aussi le Bon Sens, car le Réalisme est précisément le bon sens des salauds. Lorsque, au temps de Munich, Jean Cocteau criait : « Vive la Paix Honteuse !», il prouvait une fois de plus que le Réalisme n’est qu’une exploitation, une déformation du réel, un idéalisme à rebours. Car il n’y a pas de paix honteuse, il n’y a pas de véritable paix dans la honte. Une paix injuste peut, momentanément du moins, produire des fruits utiles, au lieu qu’une paix honteuse restera toujours par définition une paix stérile. Le bon sens et l’honneur sont d’accord sur ce point, quoi de plus naturel ? L’honneur n’est-il pas un peu au bon sens ce que la Sainteté est à la Vertu, l’honneur n’est-il pas le bon sens au degré le plus éminent ? Le bon sens et l’honneur ensemble, voilà sur quoi s’est toujours fondée la grandeur française, voilà le principe de toute union nationale. Les imbéciles de Vichy ont cru très malin d’opposer le bon sens à l’honneur, mais l’honneur et le bon sens ont fini par se rejoindre pour former ce mélange détonant qui a explosé sous leurs derrières. Ils s’en frottent encore les fesses.
Cher ami, à l’heure où j’écris ces lignes, notre Gouvernement vient de vous honorer, honorant dans votre personne tous ceux qui, à travers cette immense Amérique latine, ont tenu bon comme vous. La décoration que vous avez reçue a un immense avantage sur les autres : c’est que, instituée depuis peu de temps, elle n’a pas encore beaucoup servi. Mais vous, Rendu, si l’on veut bien me permettre de risquer cette espèce de calembour, vous avez beaucoup servi, vous avez bien servi, vous avez bien servi la France. Je dis la France, celle d’hier et celle de demain, la France immortelle. Car cette France d’aujourd’hui à laquelle nous appartenons premièrement par la chair, puisque nous y sommes nés, que nous n’avons pas encore achevé d’y mourir, elle est la France, certes, mais une France où se trouvent étroitement mêlés le bon et le mauvais, le périssable et l’impérissable. De la France d’aujourd’hui, vous vous êtes efforcé de servir la part impérissable. Ce service ne va pas sans déceptions. Vous aviez accepté ces déceptions par avance. La France périssable, celle des combinaisons politiques et des partis, destinée à disparaître en même temps que les générations qui la constituent, vous aurait demandé beaucoup moins de sacrifices, pour de considérables profits, n’importe ! Les événements vous ont donné raison, ils ont donné raison à vous et à l’honneur. Cela devrait clore le débat. Malheureusement ce n’est ni à vous, ni à l’honneur que se sont ralliés vos anciens adversaires ; ils ne se sont ralliés qu’au succès, afin d’en tirer parti. Nous les voyons déjà exploiter cyniquement vos idées et vos formules. Ils en déforment le sens, ils en faussent l’esprit. Oh ! certes, nous souhaitons autant que personne l’union des Français ; je ne voudrais pas la retarder d’un jour, d’une heure. Mais, il y a quelque chose de plus précieux que l’union, ce sont les principes au nom desquels on s’unit.
Cher Rendu, ni vous, ni vos amis, n’avez jamais refusé d’accueillir ceux qui, reconnaissant leurs erreurs et la nécessité de les réparer, sont venus à vous franchement. Mais vous devez continuer à repousser l’insolente prétention des traîtres, des lâches ou des imbéciles qui n’ont jamais réclamé l’union que pour essayer de la confisquer à leur profit, afin de vous en exclure. Car ils ne vous demandent pas d’oublier ou d’excuser leurs fautes. Ils exigeraient bien plutôt que vous justifiiez ces fautes à vos dépens, aux dépens de la vérité. Voilà précisément ce que vous ne pourriez faire sans trahir la mission que vous avez reçue. L’esprit de l’armistice est inséparable de l’esprit de collaboration, le drame de l’armistice et celui de la collaboration ne font qu’un seul et même drame, celui de la conscience nationale, obscurcie par les équivoques.
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