Mais vous n’avez pas parlé, et avec l’aube il est parti. À présent c’est en vain que vous cherchez un prétexte pour le rappeler…
La lune d’avril promène encore ses rayons de corolle en corolle, mais parce que cette nuit-là vous vous êtes injustement tue, l’instant plein de trésors qu’elle vous offrait demeure à jamais perdu. Et maintenant vous cherchez en vain un prétexte pour rappeler celui qui vous a quittée, les yeux noyés de larmes !
XIII
Des amants s’approchent de vous, ma Reine ; ils déposent orgueilleusement leurs trésors à vos pieds, et mon tribut, à moi, n’est composé que de chimères.
La tristesse s’est glissée au cœur de mon univers ; ma meilleure part s’est assombrie.
Alors que les heureux se rient de ma misère je vous demande de pleurer sur elle et de la rendre ainsi précieuse.
Je vous apporte un instrument sans voix ; j’en ai forcé les cordes pour atteindre une note suprême, et les cordes se sont brisées.
Alors que des maîtres narguent ces cordes brisées je vous demande de prendre dans vos mains ma lyre et d’emplir le silence avec votre chant.
XIV
Vous m’avez magnifié selon votre amour, moi qui suis un homme au milieu des autres, plongé dans le courant vulgaire, ballotté par la changeante faveur du monde.
Vous m’avez fait place là où les poètes vont déposer leurs offrandes, là où des amants aux noms illustres se saluent à travers les âges.
Des indifférents me croisent au marché ; ils ignorent que mon corps est devenu précieux sous vos caresses ; ils ne savent pas qu’en moi je porte votre baiser comme le soleil porte en lui ce sceau divin qui l’embrasa d’une flamme inextinguible !
XV
Cette nuit j’ai composé une chanson, mais vous n’étiez pas là.
J’ai trouvé les mots que j’avais en vain cherchés tout le jour. Oui, du sein de la paix nocturne ils se sont rythmés en musique, tandis que les étoiles, une à une s’allumaient. Mais vous n’étiez pas là.
Je voulais, ce matin, vous chanter ma chanson ; mais si je n’en ai pas oublié la musique les mots rebelles m’échappent, à présent que vous êtes là !
XVI
J’ai désiré tracer les mots de l’amour dans leur propre couleur ; mais comme ils se cachent au fond de mon être et comme nos larmes sont pâles !
Les reconnaîtras-tu, mon amie, ces mots sans couleur ?
J’ai désiré dire les mots de l’amour dans leur propre musique, mais cette musique ne résonne que dans mon cœur et mes yeux sont chargés de silence.
Les reconnaîtras-tu, mon amie, ces mots sans musique ?
Posez là votre lyre, mon amour ; laissez à vos bras la liberté de m’enlacer.
Que mon cœur au toucher de vos doigts atteigne les extrêmes bords du sentiment.
Ne penchez pas la tête, ne la détournez pas ; mais offrez-moi votre baiser comme l’arôme longtemps contenu dans un calice.
N’étouffez pas cette minute avec de vaines paroles, mais qu’une grande vague silencieuse nous entraîne vers des délices sans limites.
XVIII
Cette nostalgie des jeux de l’Amour, mon amour, n’est pas seulement mienne mais vôtre.
Vos lèvres sourient, vos pipeaux chantent parce que mon amour les inspire.
Votre désir s’impatiente aussi vivement que mon désir !
XIX
Moi, l’oiseau prisonnier, devant l’obscurité du ciel je t’interroge, bel oiseau libre ! Dis-moi, est-ce là le dernier jour du monde ? Le soleil ne viendra-t-il plus dorer les barreaux de ma cage ?
Va donc, toi ! Monte au-dessus de cette conspiration des nuées ; cherche l’illusion qui me manque… Chante ! Chante pour moi la lumière éternelle !
XX
Je crois t’avoir aperçue en songe avant de te connaître ; telles sont les presciences d’avril avant les plénitudes du printemps.
La vision que j’eus de toi n’est-elle pas venue alors que toutes choses s’imprégnaient du parfum des Sals en fleurs, quand le scintillement vespéral de la rivière ajoutait comme une frange à la blondeur des sables, quand les rumeurs des jours d’été s’entremêlaient vaguement ?
Oui, moqueuse et fuyante la vision que j’eus de ton visage en des heures évadées !
XXI
Je suis pour toi comme la nuit. Je ne puis te donner que la paix et le silence cachés dans l’ombre.
Lorsque dès l’aurore tu ouvriras les yeux, je te laisserai au bourdonnement des abeilles et au chant des oiseaux.
Mon offrande ne sera qu’une larme versée sur ta jeunesse ; tes sourires en sortiront plus frais ; elle saura voiler la cruelle jubilation du jour.
XXII
Nous sommes venus ici tous les deux, amie, et voilà qu’à ce carrefour je m’arrête pour te dire adieu.
La route s’ouvre large et droite devant toi ; mon but, à moi, ne peut être atteint que par d’inconnus chemins de traverse.
Je suivrai le vent et les nuées ; je suivrai les étoiles jusqu’au faîte de la colline où l’on voit poindre l’aube ; je suivrai les amants qui tressent avec leurs paroles nombreuses une même guirlande.
XXIII
Entre tant de jours vous avez choisi celui-ci pour visiter mon jardin, alors que la pluie a passé sur mes roses et que sur les gazons s’éparpillent des feuilles arrachées.
Je ne sais ce qui vous amena malgré le dépouillement des haies et les rigoles qui sillonnent mes allées… Dissipée, la prodigue richesse du printemps ! Évanouis, les chants et les parfums d’hier !
Et pourtant demeurez un peu. Laissez-moi découvrir encore pour vous, et bien que votre jupe n’en puisse être remplie, des fleurs oubliées. Le temps presse, car les nuages s’amoncellent, et voilà de nouveau l’orage.
XXIV
Jadis, chaque matin, quand la rosée luisait dans l’herbe, vous veniez balancer mon hamac. Mais, glissant des sourires aux larmes, je ne vous reconnaissais pas.
Durant les somptueux midis d’avril vous me parliez, je crois, de vous suivre. Mais je cherchais votre visage, et voici qu’entre nous passaient des processions fleuries, et des hommes et des femmes jetant leurs chansons aux souffles du sud.
Sur la route je vous ai croisé sans vous reconnaître. Et puis, certains jours plein du vague parfum des lauriers roses, plein du vent qui s’obstinait parmi les gémissantes palmes, je vous ai longuement considéré. Et je ne savais pas si vous m’aviez jamais été inconnu.
XXV
Des paroles vagues m’obsèdent, mais je laisserai le silence et la nuit s’exprimer lentement en musique.
Ma vie est aujourd’hui comme un cloître où l’on fait pénitence et où le printemps hésite à remuer et à murmurer.
Il n’est pas l’heure pour vous, mon amour, de franchir le pas de ma porte. À la seule crainte d’entendre le cliquetis de vos bracelets s’émeuvent les échos du jardin…
Les roses, pour embaumer, doivent patienter encore ; ne donnez pas aux corolles fermées l’inquiétude de s’épanouir avant le temps !
XXVI
Je suis heureux que votre regard de pitié ne s’attarde pas sur moi.
L’enchantement de la nuit et mes paroles d’adieu qui résonnaient avec l’accent du désespoir ont seuls amené des pleurs au bord de mes paupières. Mais le jour va poindre, mon cœur s’affermira et il n’y aura plus de loisir pour les larmes.
Qui donc prétend que l’oubli est impossible ?
La mort pitoyable ronge les moelles de la vie pour mettre un terme à ses folles entreprises ; l’orageuse mer calmée retourne à son berceau ; les feux de la forêt s’assoupissent sur leur couche de cendres. Vous et moi nous nous quittons, et la distance qui nous sépare disparaîtra bientôt sous les herbes sauvages et sous les fleurs épanouies.
XXVII
Notre destin voyage sur une mer non traversée dont les vagues se poursuivent dans un jeu de cache-cache incessant.
C’est l’inquiète mer du changement ; elle perd et perd encore ses troupeaux, et bat des mains contre le ciel immuable.
Au centre de cette mer éperdue, entre l’aube et la nuit, Amour, vous êtes l’île verdoyante où le soleil baise l’ombre vaporeuse, où les oiseaux sont les amants chanteurs du silence.
XXVIII
Le murmure magique du printemps, entrebâillant une porte secrète, découvre la Princesse de beauté qui fit en moi sa demeure. Toujours elle fut là, blottie au fond d’un berceau d’illusions, et le rythme de mon cœur l’endormait. Aujourd’hui ses voiles se sont soulevés, les parfums errants des jardins enchantés l’ont frôlée et l’ont réveillée. Elle contemple avec surprise, reflétée dans un miroir poli, la marque nuptiale peinte sur son front en des temps oubliés.
J’entends les échos d’une ballade dont je ne sais si elle dit faux ou vrai, mais dont je sais qu’elle est étrange ; mes pensées se sont enfuies vers le pays des choses qui n’arrivent pas, mais qui sont ; dans l’île aromatique qui repose au-delà des océans, des femmes tordent au soleil leurs cheveux humides, ou s’étendent sous les branches remuées des bois de santal… Et je courtise celles que je n’ai jamais vues et que jamais je ne connaîtrai.
XXIX
Je suis la barque ; vous êtes la mer et aussi le nautonier.
Vous m’entraînez dans les profondeurs, mais pourquoi m’inquiéterais-je ?
Vaut-il mieux atteindre le port que de se perdre avec vous ?
XXX
J’ai rencontré de nombreuses vierges en de lointains pays. Les unes m’abordaient pour me demander mon nom, d’autres baissaient les yeux et demeuraient muettes. J’ai vu des sourires aigus comme des épées et des sourires évoquant un abîme de larmes. Et j’allais toujours, attiré par la distance qui renouvelle ses promesses incertaines comme ses différents paysages.
C’est aux jours printaniers, avec les feuilles naissantes, que j’atteignis le royaume enchanté du Sommeil. À travers une haie de serviteurs endormis je franchis la porte d’un palais. Le long des longs corridors vides je passai devant la chambre du Roi et la chambre de la Reine, et puis j’arrivai à la chambre où, couchée sous les lueurs adoucies du crépuscule, dormait la fille du Roi.
Son lit moelleux était blanc comme un pétale de lotus. Ses tresses répandues au bord de l’oreiller ressemblaient à une sombre cascade immobile ; son bras gauche était jeté sur le désordre de ses voiles et son bras droit reposait sur sa poitrine remuée par un souffle égal. Dans cet étrange domaine du Sommeil elle semblait en vérité l’image même du Rêve !
Agenouillé devant elle, j’ai penché mon visage au-dessus du sien jusqu’à ce que son haleine fît bondir mon sang ; j’ai fixé longuement ses paupières closes et je les ai baisées pour que mon baiser pénétrât jusqu’à ses songes… Sur une feuille de bouleau je traçai mon nom et j’ajoutai ces mots : « Dormeuse, je t’abandonne mon cœur. » Enfin, ayant noué la feuille de bouleau à ma chaîne de perles et l’ayant jetée sur ses cheveux épars, je m’enfuis.
… Mais l’enchantement se dissipe ; le royaume dormant sort peu à peu de sa torpeur. Au fond du silence vibrent des voix humaines ; le Roi et la Reine se sont réveillés, et les jeunes Princes s’émerveillent de voir la terrasse nue envahie par des herbes déjà hautes. Dans la chambre où les lampes se sont éteintes, où l’encens des cassolettes n’est plus qu’une pincée de cendres, la fille du Roi, assise sur sa couche, contemple tour à tour une feuille de bouleau et une chaîne de perles.
Pudiquement, d’une tunique elle revêt sa gorge nue ; frissonnante elle épie, elle cherche, et ne découvre nul mystérieux visiteur. Elle lit et relit le message tracé sur la feuille de bouleau : elle prend son front entre ses mains, et s’interroge, et s’interroge encore. Et longtemps elle demeure incertaine.
Près d’elle les secrets de la nature sont murmurés par les feuillages du jardin, mais elle sent que de pareils secrets accompagnent les battements précipités de son cœur ; les souffles du vent viennent de temps à autre lui poser une impatiente question, et c’est la même question qui hante son esprit troublé. La fille du Roi s’interroge : Qui donc déposa sur sa chevelure un message amoureux et une chaîne de perles ?
Ainsi passent les jours.
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