Ce fut ensuite le tour de la chemise : du col au plastron et aux manches, pas un bouton ni une boutonnière n'échappa ; ensuite le pantalon fut lui-même échenillé : pattes et boucles et poches et boutons et boutonnières y passèrent ; les jarretières en élastique qui tenaient les bas furent confisquées, les cordons de souliers taillés en trente-six morceaux.

- T'as pas de " caneçon " ? non ! reprit Lebrac, en vérifiant l'intérieur de la culotte qui dégringolait sur les jarrets.

- Eh bien! maintenant, fous le camp!

Il dit, et, tel un honnête juré qui, sous un régime républicain, sans haine et sans crainte, obéit uniquement aux injonctions de sa conscience, il ne lui lança pour finir qu'un solide et vigoureux coup de pied à l'endroit "

ousque " le dos perd son nom.

Rien ne tenait plus des habits de Migue la Lune et il pleurait, misérable et petit, au milieu des ennemis qui le raillaient et le huaient.

- Viens donc m'arrêter, maintenant ! invita Grangibus narquois, tandis que l'autre, ayant remis sur son tricot qui ne boutonnait plus sa blouse qui pendait en marchand de biques, essayait en vain de rassembler dans son pantalon les pans de sa chemise débraillée.

Va voir maintenant ce que veut te dire ta mère, acheva Camus, retournant le poignard dans la plaie.

Et lent, dans le soir qui tombait, traînant les pieds o˘ ses souliers tenaient à peine, Migue la Lune, pleurant, geignant et sanglotant, rejoignit dans le bois ses camarades à l'aff˚t qui l'attendaient anxieusement, l'entourèrent et lui portèrent aide et secours autant qu'il était en leur pouvoir de le faire.

Et là-bas, au levant o˘ leur groupe se distinguait mal maintenant dans le crépuscule, retentissaient les cris de triomphe et les insultes narquoises des Longevemes victorieux.

Lebrac, enfin, résuma la situation

- Hein ! on leur z'y a posé ! «a leur apprendra à ces Alboches-là !

Puis, comme rien de nouveau n'apparaissait à la lisière, cette journée étant définitivement la leur, ils dévalèrent le communal de la Saute jusqu'à la carrière à Pepiot.

Et de là, par rangs de six, bras dessus, bras dessous, Lebrac de côté, le b

‚ton brandi, Camus en avant, son mouchoir rouge de sang servant d'enseigne au bout de sa trique de bataille, ils partirent au commandement du chef, claquant des talons et marquant le pas, vers Longeverne en chantant de tous leurs poumons

La victoi-ren chantant,

Nous ou-vre la barriè-re

La Liberté gui-ide nos pas,

Et du No-rau Midi la trom-pette guerrière

A sonné l'heure des com-ombats...

1. Cabe : Chèvre.

2. Touegueule :Surnom qui signifie : tord gueule.

Premiers revers

Ils m'ont entouré comme la beste et croyent qu'on me prend aux filetz. moy, je leur veulx passer à travers ou dessus le ventre.

Henri IV (Lettre à M. de Batz, gouverneur de la ville d'Euse, en Armagnac, mars 1586).

Les jours qui suivirent cette mémorable victoire furent plus calmes. Le grand Lebrac et sa troupe, confiants dans leur succès, gardaient l'avantage et, nantis de leurs lances de coudre pointusées au couteau et polies avec du verre, armés de sabres de bois avec une garde en fil de fer recouverts de ficelle de pain de sucre, poussaient des charges terribles qui Faisaient frémir les Velrans et les ramenaient jusqu'à leur lisière parmi des grêles de cailloux.

Migue la Lune, prudent, restait au dernier rang, et l'on ne fit pas de prisonniers et il n'y eut pas de blessés.

Cela e˚t pu durer longtemps ainsi ; malheureusement pour Longeverne, la classe du samedi matin fut désastreuse. Le grand Lebrac, qui s'était tout de meme fourré dans la tête les multiples et les Sous-multiples du mètre, confiant dans la parole du père Simon, qui avait dit que quand on les savait pour une sorte de mesures on les savait pour toutes, ne voulut pas entendre dire que le kilolitre et le myrialitre n'existaient point.

Il emmêla si bien l'hectolitre et le double et le boisseau et la chopine, ses connaissances livresques avec son expérience personnelle, qu'il se vit fermement, et sans espoir d'en réchapper, fourrer en retenue de quatre à

cinq d'abord, plus longtemps si c'était nécessaire, et s'il ne satisfaisait pas à toutes les exigences récitatoires du maître.

quel vieux salaud quand il s'y mettait, tout de même, que ce père Simon Le malheur voulut que Tintin se trouv‚t exactement dans le même cas ainsi que Grangibus et Boulot. Seuls, Camus, qui y avait coupé, et La Crique, qui savait toujours, restaient pour conduire ce soir-là la troupe de Longeveme, déjà réduite par l'absence de Gambette, qui n'était pas venu ce jour-là parce qu'il avait conduit leur cabe au bouc et de quelques autres obligés de rentrer à la maison pour préparer la toilette du lendemain.

- Faudrait peut-être pas aller ce soir ? hasarda Lebrac, pensif.

Camus bondit.

- Pas aller! Ben il la baillait belle, le général. Pour qui qu'on le prenait, lui, Camus Par exemple, qu'on allait passer pour couillons !

Lebrac ébranlé se rendit à ces raisons et convint que, sitôt libéré avec Tintin, Boulot et Grangibus (et s allaient s'y mettre d'attaque), ils se porteraient ensemble à leur poste de combat.