Mais il était inquiet. «a l'embêtait, na ! que lui, chef, ne f˚t pas là
pour diriger la manoeuvre en un jour plutôt difficile.
Camus le rassura et, après de brefs adieux, à quatre heures, fila, flanqué
de ses guerriers, vers le terrain de combat.
Tout de même cette responsabilité nouvelle le rendait pensif, et, préoccupé
d'on ne sait quoi, le coeur peut-être étreint de sombres pressentiments, il ne songea point à faire se dissimuler ses hommes avant d'arriver à leur retranchement du Gros Buisson.
Les Vetrans, eux, étaient arrivés en avance. Surpris de ne rien voir, ils avaient chargé l'un d'eux, Touegueule', de grimper à son arbre pour se rendre compte de la situation.
Touegueule, de son foyard, vit la petite troupe qui s'avançait imprudemment dans le chemin, et une joie débordante et silencieuse, inondant tout son être, le fit se tortiller comme un goujon au bout d'une ligne.
Immédiatement il fit part à ses camarades de l'infériorité numérique de l'ennemi et de l'absence du grand Lebrac.
L'Aztec des Gués, qui ne demandait qu'à venger Migue la Lune, imagina aussitôt un plan d'attaque et il l'exposa.
On n'allait d'abord faire semblant de rien, se battre comme d'habitude, s'avancer, puis reculer, puis avancer de nouveau jusqu'à mi-chemin, et, après une feinte reculade, partir de nouveau tous ensemble, charger en masse, tomber en trombe sur le camp ennemi, cogner ceux qui résisteraient, faire prisonniers tous ceux qu'on attraperait et les ramener à la lisière, o˘ ils subiraient le sort des vaincus.
Ainsi c'était bien compris, quand il pousserait son cri de guerre : " La Murie vous crève! ", tous s'élanceraient derrière lui, la trique au poing.
Touegueule était à peine redescendu de son foyard que l'organe perçant de Camus, du centre du Gros Buisson, lançait le défi d'usage : " A cul les Velrans ! " et que la bataille s'engageait dans les formes ordinaires.
En tant que général, Camus aurait d˚ rester à terre et diriger ses troupes ; mais l'habitude, la sacrée habitude de monter à l'arbre fit taire tous ses scrupules de commandant en chef, et il grimpa au chêne pour lancer de haut ses projectiles dans les rangs des adversaires.
Installé dans une fourche soigneusement choisie et aménagée, commodément assis, il prenait la ligne de mire en tendant l'élastique, le cuir juste au milieu de la fourche, les bandes de caoutchouc bien égales et t‚chait le projectile qui partait en sifflant du côté de Velrans, déchiquetant des feuilles ou cognant un tronc en faisant toc.
Camus pensait qu'il en serait ce jour-là comme des jours précédents et ne se doutait mie que les autres tenteraient une attaque et pousseraient une charge puisque chaque engagement, depuis l'ouverture des hostilités, avait vu leur défaite ou leur reculade.
Tout alla bien pendant une demi-heure, et le sentiment du devoir accompli, le souci d'un emploi judicieux de ses cailloux le rassérénaient, lorsque, au cri de guerre de l'Aztec, il vit la horde des Velrans chargeant son armée avec une telle vitesse, une telle ardeur, une telle impétuosité, une telle certitude de victoire qu'il en demeura abasourdi sur sa branche sans pouvoir proférer un mot.
Ses guerriers, en entendant cette ruée forn˘dable, en voyant ce brandissement d'épieux et de triques, effarés, démoralisés, trop peu nombreux, battirent en retraite aussitôt, et, prenant leurs jambes à leur cou, s'enfuirent,leurs talons battant les fesses, à toute allure, dans la direction de la carrière à Laugu, sans oser se retourner et croyant que toute l'armée ennemie leur arrivait dessus.
Malgré sa supériorité numérique, la colonne des Velrans, en arrivant au Gros Buisson, ralentit un peu son élan, craignant quelque projectile désespéré ; mais, ne recevant rien, elle s'engagea brusquement sous le couvert et se mit à fouiller le camp.
Hélas ! on ne voyait rien, on ne trouvait personne, et l'Aztec grommelait déjà, quand il dénicha Camus blotti dans son arbre tel un écureuil surpris.
Il eut un ah ! sonore de triomphe en l'apercevant et, tout en se félicitant intérieurement de ce que l'assaut n'e˚t pas été inutile, il somma immédiatement son prisonnier de descendre.
Camus, qui savait le sort qui l'attendait s'il abandonnait son asile et avait encore quelques cailloux en poche, répondit par le mot de Cambronne à
cette injonction injurieuse. Déjà il fouillait les poches de son pantalon, quand l'Aztec, sans réitérer son invitation discourtoise, ordonna à ses hommes de lui " descendre cet oiseau-là " à coups de cailloux.
Avant qu'il e˚t bandé sa fronde, une grêle terrible lapida Camus qui croisa ses bras sur sa figure; les mains sur les yeux pour se protéger.
Beaucoup de Velrans manquaient heureusement leur but, pressés qu'ils étaient de lancer leurs projectiles, mais quelques-uns, mais trop touchaient : pan sur le
dos ! pan sur la gueule! pan sur la ratelle ! pan sur le r‚ble! pan sur
les guibolles ! attrape encore " çui-là " mon fils
!
- Ah ! t'y viendras, mon salaud ! disait l'Aztec. Et de fait, le pauvre Camus n'avait pas assez de mains pour se protéger et se frotter, et il allait enfin se rendre à merci, quand le cri de guerre et le rugissement terrible de son chef, ramenant ses troupes au combat, le délivra comme par enchantement de cette terrible position.
Lentement, il décroisa un bras, puis un autre, et se t‚ta, et regarda et...
ce qu'il vit...
Horreur ! trois fois horreur ! L'armée de Longeverne, essoufflée, arrivait au Gros Buisson, hurlante, avec Tintin et Grangibus, tandis qu'à la lisière les Velrans, en troupeau, emmenaient, emportaient Lebrac prisonnier.
- Lebrac ! Lebrac ! nom de Dieu. Lebrac ! piaillat-il.
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