Cela ne marcha pas très bien en classe, ce matin-là, et le maître dut crier fort pour contraindre ses élèves à l'attention. Non qu'ils fissent du potin, mais ils semblaient tous perdus dans un nuage et restaient absolument réfractaires à saisir l'intérêt que peut avoir pour de jeunes Français républicains l'historique du système métrique.

La définition du mètre, en particulier, leur paraissait horriblement compliquée : dix millionième partie du quart, de la moitié... du... ah, merde! pensait le grand Lebrac.

Et se penchant vers son voisin et ami Tintin, il lui glissa confidentiellement

- Eurêquart !

Le grand Lebrac voulait sans doute dire : Eurêka Il avait vaguement entendu parler d'Archimède, qui s'était battu au temps jadis avec des lentilles.

La Crique lui avait laborieusement expliqué qu'il ne s'agissait pas de légumes, car Lebrac à la rigueur comprenait bien qu'on p˚t se battre avec des pois qu'on lance dans un fer de porte-plume creux, mais pas avec des lentilles.

Et puis, disait-il, ça ne vaut pas les trognons de pommes ni les cro˚tes de pain.

La Crique lui avait dit que c'était un savant célèbre qui faisait des problèmes sur des capotes de cabriolet, et ce dernier trait l'avait pénétré

d'admiration pour un bougre pareil, lui qui était aussi réfractaire aux beautés de la mathématique' qu'aux règles de l'orthographe.

D'autres qualités que celles-là l'avaient, depuis un an, désigné comme chef incontesté des Longevernes.

Têtu comme une mule, malin comme un singe,, vif comme un lièvre, il n'avait surtout pas son pareil pour casser un carreau à vingt pas, quel que f˚t le mode de projection du caillou : à la main, à la fronde à ficelle, au b‚ton refendu, à la fronde à

lastique

; il était dans les corps à corps un adversaire terrible,il avait déjà joué des tours pendables au curé, au maître d'école et au garde champêtre ; il fabriquait des kisses merveilleuses avec des branches de sureau grosses comme sa cuisse, des kisses qui vous giclaient l'eau à

quinze pas, mon ami, voui ! parfaitement ! et des topes qui pétaient comme des pistolets et qu'on ne retrouvait plus les balles d'étoupes. Aux billes, c'était lui qui avait le plus de pouce il savait pointer et rouletter comme pas un ; quand on jouait au pot, il vous " foutait les znogs sur les onçottes " à vous faire pleurer, et avec ça, sans morgue aucune ni affectation, il redonnait de temps à autre à ses partenaires malheureux quelques-unes des billes qu'il leur avait gagnées, ce qui lui valait une réputation de grande générosité.

A l'interjection de son chef et camarade, Tintin joignit les oreilles ou plutôt les fit bouger comme un chat qui médite un sale coup et devint rouge d'émotion.

- Ah ! ah ! pensa-t-il. «a y est ! J'en étais bien s˚r que ce sacré Lebrac trouverait le joint pour leur z'y f aire

Et il demeura noyé dans un rêve, perdu dans des mondes de suppositions, insensible aux travaux de Delambre, de Méchain, de Machinchouette ou d'autres ; aux mesures prises sous diverses latitudes, longitudes ou altitudes... Ah ! oui, que ça lui était bien égal et qu'il s'en foutait !

Mais qu'est-ce qu'ils allaient prendre, les Velrans Ce que fut le devoir d'application qui suivit cette première leçon, on l'apprendra plus tard ; qu'il suffise de savoir que les gaillards avaient tous une méthode personnelle pour rouvrir, sans qu'il y par˚t, le livre fermé par ordre supérieur et se mettre à couvert contre les défaillances de mémoire. N'empêche que le père Simon était dans une belle rage le lundi suivant. Mais n'anticipons pas.

quand onze heures sonnèrent à la tour du vieux clocher paroissial, ils attendirent impatiemment le signal de sortie, car tous étaient déjà

prévenus on ne sait comment, par infiltration, par radiation ou d'une tout autre manière, que Lebrac avait trouvé quelque chose.

Il y eut comme d'habitude quelques bonnes bousculades dans le couloir, des bérets échangés, des sabots perdus, des coups de poings sournois, mais l'intervention magistrale fit tout rentrer dans l'ordre et la sortie s'opéra quand même normalement.

Sitôt que le maître fut rentré dans sa boîte, les camarades fondirent tous sur Lebrac comme une volée de moineaux sur un crottin frais.

Il y avait là, avec les soldats ordinaires et le menu fretin, les dix principaux guerriers de Longeverne avides de se repaître de la parole du chef.

Lebrac exposa son plan, qui était simple et hardi ensuite il demanda quels seraient les ceusses qui l'accompagneraient le soir venu.

Tous briguèrent cet honneur ; mais quatre suffisaient et on décida que Camus, La Crique, Tintin et Grangibus seraient de l'expédition : Gambette, habitant sur la Côte, ne pouvait s'attarder si longtemps, Guignard n'y voyait pas très clair la nuit et Boulot n'était pas tout à fait aussi leste que les quatre autres.

Là-dessus on se sépara.

Au soir, sur le coup de l'Angelus, les cinq guerriers se retrouvèrent.

- As-tu la craie? fit Lebrac à La Crique, qui s'était chargé, vu sa position près du tableau, d'en subtiliser deux ou trois morceaux dans la boîte du père Simon.

La Crique avait bien fait les choses en avait chipé cinq bouts, de grands bouts ; il en garda un pour lui et en remit un autre à chacun de ses frères d'armes. De cette façon, s'il arrivait à l'un d'eux de perdre en route son morceau, les autres pourraient facilement y remédier.

- Alorsse, filons ! fit Camus.