Par la grande rue du village d'abord, puis par le traje des Cheminées rejoignant au gros Tilleul la route de Velrans, ce fut un instant une sabotée sonore dans la nuit. Les cinq gars marchaient à toute allure à

l'ennemi.

- Il y en a pour une petite demi-heure à pied, avait dit Lebrac, on peut donc y aller dedans un quart d'heure et être rentré bien avant la fin de la veillée.

La galopade se perdit dans le noir et dans le silence ; pendant la moitié

du trajet la petite troupe n'abandonna pas le chemin ferré o˘ l'on pouvait courir, mais dès qu'elle fut en territoire ennemi, les cinq conspirateurs prirent les bas côtés et marchèrent sur les banquettes que leur vieil ami le père Bréda, le cantonnier, entretenait, disaient les mauvaises langues, chaque fois qu'il lui tombait un oeil. quand ils furent tout près de Velrans, que les lumières devinrent plus nettes derrière les vitres et les aboiements des chiens plus menaçants, ils firent halte.

- Otons nos sabots, conseilla l,ebrac, et cachons les derrière ce mur.

Les quatre. guerriers et le chef se déchaussèrent et mirent leurs bas dans leurs chaussures ; puis ils s'assurèrent qu'ils n'avaient pas perdu leur morceau de craie et, l'un derrière l'autre, le chef en tête, la pupille dilatée, l'oreille tendue, le nez frémissant, ils s'engagèrent sur le sentier de la guerre pour gagner le plus directement possible l'église du village ennemi, but de leur entreprise nocturne.

Attentifs au moindre bruit, s'aplatissant au fond des fossés, se collant aux murs ou se noyant dans l'obscurité des haies, ils se glissaient, ils s'avançaient comme des ombres, craignant seulement l'apparition insolite d'une lanterne portée par un indigène se rendant à la veillée ou la présence d'un voyageur attardé menant boire son carcan. Mais rien ne les ennuya que l'aboi, du chien-de Jean des Gués, un salopiot qui gueulait continuellement.

Enfin ils parvinrent sur la place du moutier et. ils s'avancèrent sous les cloches.

Tout était désert et silencieux.

Le chef resta seul pendant que les quatre autres revenaient en arrière pour faire le guet.

Alors prenant son bout de craie au fond de sa profonde, haussé sur ses orteils aussi haut que possible, Lebrac inscrivit sur le lourd panneau de chêne culotté et noirci qui fermait le saint lieu, cette inscription lapidaire qui devait faire scandale le lendemain, à l'heure de la messe, beaucoup plus par sa crudité héroÔque et provocante que par son orthographe fantaisiste

Tou lé Velrant çon dé paigne ku

Et quand il se fut, pour ainsi dire, collé les quinquets sur le bois pour voir " si ça avait bien marqué ", il revint près des quatre complices aux écoutes et, à voix basse et joyeusement, leur dit

- Filons !

Carrément, cette fois, ils s'engagèrent de front sur le milieu du chemin et repartirent, sans faire de bruit inutile, à l'endroit o˘ ils avaient abandonné leurs sabots et leurs bas.

Mais sitôt rechaussés, dédaigneux tout à fait d'inutiles précautions, frappant le sol à pleins sabots, ils regagnèrent Longeverne et leur domicile respectif en attendant avec confiance l'effet de leur déclaration de guerre.

1. Piquer une larme : Boire la goutte..

2 Gavouiller : agiter l'eau avec la main pour faire des remous, des glouglous.

3 Tavie : Octavie.

4 Se rebraquer : se redresser, porter le corps en arrière 5 Godons : Cailloux

6 houksser :Exciter contre quelqu'un, se dit surtout des chiens.

7. Pantets, pans de chemise.

8. Jambes.

9.

Pattier, marchand de pattes, c'est-à-dire de chiffons, de guenilles.

11. Couvert.

12.