On va monter . jusqu'au Gros Buisson.
Le communal de la Saute, qui s'étend du bois du Tenté au nord-est au bois de Velrans au sud-ouest, est un grand rectangle en remblais, long de quinze cents mètres environ et large de huit cents. Les lisières des deux forêts sont les deux petits côtés du rectangle ; un mur de pierre doublé d'une haie protégée elle-même par un épais rempart de buissons le borne en bas vers les champs de la fin ; au-dessus la limite assez indécise est marquée par des carrières abandonnées, perdues dans une bande de bois non classée, avec des massifs de noisetiers et de coudriers formant un épais taillis que l'on ne coupe jamais. D'ailleurs, tout le communal est couvert de buissons, de massifs, de bosquets, d'arbres isolés ou groupés qui font de ce terrain un idéal champ de bataille.
Un chemin ferré venant du village de Longeverne gravit lentement en semi-diagonale le rectangle, puis, à cinquante mètres de la lisière du bois de Velrans, fait un contour aigu pour permettre aux voitures chargées d'atteindre sans trop de peine le sommet du " crêtot ".
Un grand massif avec des chênes, des épines, des prunelliers, des noisetiers, des coudriers, emplit la boucle du contour : on l'appelle le Gros Buisson.
Des carrières à ciel ouvert exploitées par Pepiot le bancal, Laugu du Moulin, qui s'intitulent enterpreneurs après boire, et quelquefois par Abel le Rat, bordent le chemin vers le bas.
Pour les gosses, elles constituent uniquement d excellents et inépuisables magasins d'approvisionnement.
C'était sur ce terrain fatal, à égale distance des deux villages, que, depuis des années et des années, les générations de Longeveme et de Velrans s'étaient copieusement rossées, fustigées et lapidées, car tous les automnes et tous les hivers ça recommençait.
Les Longevernes s'avançaient habituellement jusqu'au contour, gardant la boucle du chemin, bien que l'autre côté apparent encore à leur commune et le bois de Velrans aussi, mais comme ce bois était tout près du village ennemi, il servait aux adversaires de camp retranché, de champ de retraite et d'abri sur en cas de poursuite, ce qui faisait rager Lebrac :
- On a toujours l'air d'être envahi, nom de D...
Or, il n'y avait pas cinq minutes qu'on avait fini son pain, que Camus le grimpeur, posté en vigie dans les branches du grand chêne, signalait des remuements suspects à la lisière ennemie.
- quand je vous le disais, constata Lebrac ! Calezvous, hein ! qu'ils croient que je suis tout seul ! Je m'en vas les houksser ! kss ! kss !
attrape ! et si des fois ils se lançaient pour me prendre... hop !
Et Lebrac, sortant de son couvert d'épines, la conversation diplomatique suivante s'engagea dans les formes habituelles : (que le lecteur ici ou la lectrice veuille bien me permettre une incidente et un conseil. Le souci de la vérité historique m'oblige à employer un langage qui n'est pas précisément celui des cours ni des salons. Je n'éprouve aucune honte ni aucun scrupule à le restituer, l'exemple de Rabelais, mon maître, m'y autorisant. Toutefois, MM. Fallières ou Bérenger ne pouvant être comparés à François 1"', ni moi à mon illustre modèle, les temps d'ailleurs étant changés, je conseille aux oreilles délicates et aux -‚mes sensibles de sauter cinq ou six pages. Et j'en reviens à Lebrac :)
- Montre-toi donc, hé grand fendu, cudot, feignant, pourri ! Si t'es pas un l‚che, montre-la ta sale gueule de peigne-cul ! va !
- Hé grand'crevure, approche un peu, toi aussi, pour voir ! répliqua l'ennemi.
- C'est l'Aztec des Gués, fit Camus, mais je vois encore Touegueule, et Bancal et Tatti et Migue la Lune : ils sont une chiée.
Ce petit renseignement entendu, le grand Lebrac continua :
- C'est toi hein, merdeux ! qu'as traité les Longevemes de couilles molles.
Je te l'ai-t -y fait voir moi, si on est en des couilles molles ! I gn'a fallu tous vos
pantets pour effacer ce que j'ai marqué à la porte de vot'église! C'est pas des foireux comme vous qu'en auraient osé faire autant.
- Approche donc " un peu " " pisque " t'es si malin, grand gueulard, t'as que la gueule... et les gigues pour " t'ensauver " !
- Fais seulement la moitié du chemin, hé ! pattier 1 C'est pas passe que ton père t‚tait les couilles des vaches sur les champs de foire que t'es devenu riche !
- Et toi donc ! ton bacul o˘ que vous restez est tout crevi d'hypothèques !
- Hypothèque toi-même, traîne-besache quand c'est t'y que tu vas reprendre le fusil de toile de ton grand-père pour aller assommer les portes à coups de " Pater " ?
- C'est pas chez nous comme à Longeverne, o˘ que les poules crèvent de faim en pleine moisson.
- Tant qu'à Velrans c'est les poux qui crèvent sur vos caboches, mais on ne sait pas si c'est de faim ou de poison.
Velri
Pourri
Traîne la Murie
A vau les vies'
Ouhe !... ouhe ouhe !... fit derrière son chef le choeur des guerriers Longevernes incapable de se dissimuler et de contenir plus longtemps son enthousiasme et sa colère.
L'Aztec des Gués riposta
Longeverne
Pique merde,
T‚te merde
Montés sur quatre pi.eux
Les diabl' te tir' à eux!
Et le choeur des Velrans applaudit à son tour frénétiquement le général par des Euh ! euh ! prolongés et euphoniques.
Des bordées d'insultes furent jetées de part et d'autre en rafales et en trombes ; puis les deux chefs, également surexcités, après s'être lancé les injures classiques et modernes :
- Enfonceurs de portes ouvertes
- Etrangleurs de chats par la queue etc., etc., revenant au mode antique, se flanquèrent à la face avec toute la déloyauté coutumière les accusations les plus abracadabrantes et les plus ignobles de leur répertoire :
- Hé! t'en souviens-tu quand ta mère p...
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