dans le rata pour te faire de la sauce !

- Et toi, quand elle demandait les sacs au ch‚treur de taureaux pour te les faire bouffer en salade !

- Rappelle-toi donc le jour o˘ ton père disait qu'il aurait plus d'avantage à élever un veau qu'un peut' merle comme toi!

- Et toi? quand ta mère disait qu'elle aimerait mieux faire téter une vache que ta soeur, passe que ça serait au moins pas une putain qu'elle élèverait!

- Ma soeur, ripostait l'autre qui n'en avait pas, elle bat le beurre, quand elle battra la m... tu viendras lécher le b‚ton ; ou bien : elle est pavée d'ardoises pour que les petits crapauds comme toi n'y puissent pas grimper !

- Attention, prévint Camus, v'là le Touegueule qui lance des pierres avec sa fronde.

Un caillou, en effet, siffla en l'air au-dessus des têtes, auquel des ricanements répondirent, et des grêles de projectiles rayèrent bientôt le ciel de part et d'autre, cependant que le flot écumeux et sans cesse grossissant d'injures salaces continuait de fluctuer du Gros Buisson à la lisière, le répertoire des uns comme des autres étant aussi abondant que richement choisi.

Mais c'était dimanche : les deux partis étaient vêtus de leurs beaux aff˚tiaux et nul, pas plus les chefs que les soldats, ne se souciait d'en compromettre l'ordonnance dans des corps à corps dangereux.

Aussi toute la lutte se borna-t-elle ce jour-là à cet échange de vues, si l'on peut dire, et à ce duel d'artillerie qui ne fit d'ailleurs aucune victime sérieuse, pas plus d'un côté que de l'autre.

quand le premier coup de la prière sonna à l'église de Velrans, l'Aztec des Gués donna à son armée le signal du retour, non sans avoir lancé aux ennemis, avec une dernière injure et un dernier caillou, cette suprême provocation :

- C'est demain qu'on vous y retrouvera, les couilles molles de Longeveme !

- Tu fous le camp! hé l‚che! railla Lebrac attends un peu, oui, attends à

demain, tu verras ce qu'on vous passera, tas de peigne-culs !

Et une dernière bordée de cailloux salua la rentrée des Velrans dans la tranchée du milieu qu'ils suivaient pour le retour.

Les Longevernes, dont l'horloge communale retardait ou dont l'heure de la prière était peut-être reculée, profitèrent de la disparition des ennemis et prirent pour le lendemain leurs dispositions de combat.

Tintin eut une idée de génie.

- Il faudra, dit-il, se caler cinq ou six dans ce buisson-là, avant qu'ils n'arrivent, et ne bouger ni pieds ni pattes, et le premier qui passera pas trop loin lui tomber sus le r‚ble et " s'ensauver " avec.

Le chef d'embuscade, immédiatement approuvé, choisit parmi les plus lestes les cinq qui l'accompagneraient, pendant que les autres mèneraient l'attaque de front, et tous rentrèrent au village, l'‚me bouillonnante d'ardeur guerrière et assoiffée de représailles.

1.

Miguer : cligner des paupières.

2.

Ch‚tre-bique : couteau.

Une grande journée

Vae victis 1

Un vieux chef gaulois aux Romains.

Ce lundi matin, en classe, cela tourna mal, plus mal encore que le samedi.

Camus, sommé par le père Simon de répéter en leçon d'instruction civique ce qu'on lui avait seriné l'avant-veille sur " le citoyen ", s'attira des invectives dépourvues d'aménité.

Rien ne voulait sortir de ses lèvres, toute sa face exprimait un travail de gésine intellectuelle horriblement douloureux : il lui semblait que son cerveau était muré.

- Citoyen ! citoyen ! pensaient les autres, moins ahuris, qu'est-ce que ça peut bien être que cette saloperie-là ?

- Moi, m'sieur! fit La Crique en faisant claquer son index et son médius contre son pouce.

- Non, pas vous ! et s'adressant à Camus, debout, la tête branlante, les yeux éperdus :

- Alors, vous ne savez pas ce que c'est qu'un citoyen ? Je vais vous coller à tous une heure de retenue pour ce soir !

Des frissons froids coururent le long des échines.

- Enfin, vous ! êtes-vous citoyen ? fit le maître d'école qui voulait absolument avoir une réponse.

- Oui, m'sieu ! répondit Camus, se souvenant qu'il avait assisté avec son père à une réunion électorale o˘ m'sieur le marquis, le député, devait offrir un verre à ses électeurs et leur serrer la main, même qu'il avait dit au père Camus :

- C'est votre fils ce citoyen-là ? Il a l'air intelligent !

- Vous êtes citoyen, vous ! ragea l'autre, cramoisi de colère, eh bien !

oui, il est joli le citoyen ! vous m'en faites un propre de citoyen !

- Non, m'sieu, reprit Camus qui, après tout, ne tenait pas à ce titre.

-

Alors pourquoi n'êtes-vous pas citoyen ?

-

!...

-

Dis-y, marmonna entre ses dents La Crique agacé, que c'est parce que t'as pas encore de poil au c...

- qu'est-ce que vous dites, La Crique ?

- Je... je dis... que... que...

- que quoi?

- que c'est parce qu'il est trop jeune

-

Ah! eh bien! maintenant, y êtes-vous ?

On y était. La réponse de La Crique fit l'effet d'une rosée bienfaisante sur le champ desséché de leur mémoire ; des lambeaux de phrases, des morceaux de qualité, des débris de citoyen, se réajustèrent, se repl

‚trèrent petit à petit, et Camus lui-même, moins ahuri, toute sa personne remerciant véhémentement La Crique le sauveur, contribua à recamper " le citoyen " !

Enfin, c'était toujours ça de passé.