Ça, je les ai moi-même, jeune homme.
Il tira de la poche de son pantalon une épaisse liasse de billets :
— See ?
Puis, il appuya scs coudes sur la table et se pencha vers les deux messieurs :
— Messieurs, je peux vous proposer un big business. Comment dites-vous ça ?
— Une grosse affaire.
— Oui, une grosse affaire. Mais il faudrait me donner, ben, attendez, quinze, seize millions de couronnes. Alors ?
Les deux hommes échangèrent à nouveau un regard incertain. Il faut dire que les rédacteurs s’y connaissent bien en fous de tout genre, en escrocs et en inventeurs.
— Minute, dit le capitaine. J’peux vous montrer quelque chose.
Les doigts épais fouillèrent dans la poche du veston puis posèrent quelque chose sur la table. C’étaient cinq perles roses grosses comme des noyaux de cerises :
— Vous vous y connaissez, en perles ?
— Combien ça peut valoir ? soupira M. Valenta.
— Ja, lots of money, mon gars. Mais je les porte seulement sur moi pour les montrer, comme échantillon. Alors, vous marcheriez avec moi ? demanda-t-il, leur tendant sa large main par-dessus la table.
Golombek soupira :
— Monsieur Van Toch, tant d’argent…
— Stop ! interrompit le capitaine. Je sais, tu ne me connais pas, mais prends des renseignements sur le capitaine Van Toch à Sourabaya, à Batavia, à Padang, où tu voudras. Va demander et tout le monde te le dira, ja, Captain Van Toch, he is as good as his word.
— Monsieur Van Toch, nous vous faisons confiance, protesta M. Golombek, mais…
— Attends, ordonna le capitaine. Je sais, tu ne veux pas me donner ton bel argent comme ça ; je t’en félicite, mon gars. Mais tu le donnes pour un bateau, see ? Tu achètes le bateau, tu seras le shipowner et tu peux aller avec moi ; ja, tu peux venir pour voir comment je m’en occupe de ton bateau. Mais l’argent qu’on va faire, ça sera fifty fifty. C’est du business honnête, non ?
— Mais, Monsieur Van Toch, s’exclama finalement M. Golombek, non sans un certain embarras, nous n’avons pas tant d’argent !
— Ja, ça c’est autre chose, dit le capitaine. Sorry. Ben alors, Messieurs, je ne sais pas pourquoi vous êtes venus.
— Pour que vous nous parliez, capitaine. Vous devez en avoir vu des choses.
— Ja, j’en ai vu, mon gars. De toutes les couleurs.
— Avez-vous jamais fait naufrage ?
— What ? Un ship-wrecking ? Mais non, alors ! Qu’est-ce que tü crois. Si tu me donnes un bon bateau, il ne peut rien lui arriver. Je t’ai dit que tu pouvais demander mes références à Amsterdam. Vas-y, demande.
— Et les indigènes, par exemple ? Vous en avez connu des indigènes ?
Le capitaine Van Toch secoua la tête :
— Pour des gens qui ont de l’éducation, ça n’a pas d’intérêt. Pas la peine d’en parler.
— Alors, parlez-nous d’autre chose.
— Ja, parler, grommela le capitaine avec méfiance. Puis vous vendrez ça à une Company quelconque et elle y enverra ses bateaux. Je te le dis, my lad, les gens sont des voleurs. Et les plus grands voleurs, ce sont les banquiers de Colombo.
— Vous êtes souvent allé à Colombo ?
— Ja, souvent. Et aussi à Bangkok et à Manila. Jeunes gens, déclara le capitaine à brûle-pourpoint, je connais un bateau. Un bateau tout ce qu’il faut et pas cher pour le prix, il mouille à Rotterdam. Allez-y voir. Ben, Rotterdam, c’est pas loin.
Et d’un geste du pouce par-dessus l’épaule, il leur indiqua le chemin :
— À présent les bateaux sont très bon marché, les gars. Comme de la ferraille. Il n’a que six ans et marche au Diesel-motor. Vous voulez le voir ?
— On ne peut pas, Monsieur Van Toch.
— Ben vous êtes des drôles de gens, soupira le capitaine et il se moucha bruyamment dans un mouchoir bleu azur.
1 comment