Paraît qu’il y est resté trente ans.
— Mon vieux, c’est une idée, dit Valenta. Ça pourrait donner un reportage sensationnel. Golombek, on y va ?
— On peut toujours essayer, dit Golombek en descendant de la table sur laquelle il était assis.
■
— C’est ce monsieur-là, leur dit l’hôtelier à Jevičko.
Attablé dans le jardin, un gros monsieur, les jambes largement écartées, coiffé d’une casquette blanche buvait de la bière en dessinant pensivement sur la table de son index épais. Les deux hommes se dirigèrent vers lui.
— Le rédacteur Valenta.
— Le rédacteur Golombek.
Le gros monsieur leva les yeux :
— What ?
— Je suis le rédacteur Valenta.
— Et moi le rédacteur Golombek.
Le gros monsieur se leva dignement :
— Le capitaine Van Toch. Very glad. Asseyez-vous, les gars.
Les deux hommes s’assirent avec empressement et posèrent leurs blocs-notes devant eux.
— Qu’est-ce que vous prenez, les gars ?
— Une grenadine, dit M. Valenta.
— Une grenadine ? répéta le capitaine avec méfiance.
Et pourquoi une grenadine ? Patron, apportez-leur de la bière… Et alors, qu’est-ce que vous me voulez ? dit-il en appuyant ses coudes sur la table.
— C’est vrai que vous êtes né ici, Monsieur Van Toch ?
— Ja, c’est vrai.
— Et, s’il vous plaît, comment êtes-vous allé à la mer ?
— Ben, via Hambourg.
— Et depuis combien de temps êtes-vous capitaine ?
— Vingt ans, mon gars. Voilà mes papiers, dit-il avec emphase en tapant sur la poche de sa veste. Je peux vous les montrer.
Golombek avait envie de voir comment sont faits les papiers d’un capitaine, mais il se maîtrisa ;
— Et vous avez dû en voir du pays, pendant ces vingt ans, Monsieur le capitaine ?
— Ja. Du pays. Ja.
— Mais encore ?
— Java, Bornéo, les Philippines. Fiji Islands. Salomon Islands. Carolines. Samoa. Foutue île de Clipperton. Des tas de foutues îles, mon gars. Pourquoi ?
— Comme ça, parce que c’est intéressant. Vous savez, on serait content d’en apprendre plus long.
— Ja. Comme ça, hein ? Le capitaine les dévisagea de ses yeux bleu pâle. — Vous êtes donc de la p’lis, de la police, quoi ?
— Non, Monsieur le capitaine. Nous sommes journalistes.
— Ah, des journalistes. Reporters, hein ? Ben écrivez : le capitaine J. Van Toch, capitaine du bateau Kandong Bandoeng…
— Comment ?
— Kandong Bandoeng, port de Sourabaya. But du voyage : vacations… comment dit-on ça ?
— Vacances.
— Ja, bon sang, vacances. Ben, mettez ça dans la liste des arrivées. Et maintenant, rangez-moi ces calepins, les gars. Your health !
— Monsieur Van Toch, nous sommes venus vous trouver pour que vous nous parliez un peu de votre vie.
— Pour quoi faire ?
— Nous mettrons ça dans le journal. Ça les intéresserait, les gens, de lire des récits sur les îles lointaines et d’apprendre tout ce qu’y a vu et vécu leur compatriote, un Tchèque, natif de Jevičko.
Le capitaine hocha la tête :
— C’est vrai, ça. Mon petit, je suis le seul captain de tout Jevičko. Pour ça, oui. Il paraît qu’il y a encore un autre capitaine d’ici, un capitaine de… de… balançoires-bateaux, mais à mon avis, ajouta-t-il sur un ton confidentiel, ce n’est pas un vrai capitaine. On mesure ça d’après le tonnage, tu sais ?
— Et quel était le tonnage de votre bateau ?
— Douze mille tonnes, jeune homme.
— Ça veut dire que vous étiez un grand capitaine, n’est-ce pas ?
— Ja, un grand capitaine, dit Van Toch gravement. Avez-vous de l’argent, les gars ?
Les deux hommes échangèrent un regard incertain.
— Nous en avons bien un peu. Vous auriez besoin de quelque chose, capitaine ?
— Ja. Ben oui, j’aurais besoin.
— Eh bien, vous voyez. Si vous nous racontez beaucoup de choses, on va les écrire et vous toucherez de l’argent.
— Combien ?
— Peut-être… même quelques milliers.
— En pounds of sterling ?
— Non, en couronnes seulement.
Le capitaine Van Toch secoua la tête :
— Ça non.
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