Et c’était un petit Juif avec des taches de rousseur », s’étonne le capitaine.
Cependant, dans son bureau, G. H. Bondy examine d’un air songeur la carte de visite du capitaine :
— Qu’est-ce qu’il veut ? demande-t-il avec méfiance.
— Monsieur, je l’ignore, murmure respectueusement Povondra.
M. Bondy tient encore la carte de visite dans sa main. Une ancre gravée. Captain J. Van Toch, Sourabaya – où cela se trouve-t-il donc, Sourabaya. Quelque part à. Java ? M. Bondy sent passer le souffle du large. Kandong Bandoeng… on dirait des coups de gong. Sourabaya. Et justement aujourd’hui, avec cette chaleur tropicale…
— Alors, amenez-le, votre capitaine, ordonne M. Bondy.
Un homme d’une puissante carrure se tient dans l’embrasure de la porte et fait un salut militaire. G. H. Bondy s’avance :
— Very glad to meet you, Captain. Please come in.
— Bien le bonjour, Monsieur Bondy ! s’exclame joyeusement le capitaine.
— Vous êtes donc Tchèque ! s’étonne M. Bondy.
— Ja, Tchèque. Mais on est en pays de connaissance,
Monsieur Bondy. À Jevičko. Van Toch, le marchand de graines, do you remember ?
— Bien sûr, bien sûr.
G. H. Bondy se réjouit bruyamment mais au fond il ressent une petite déception. (Ce n’est pas un Hollandais, après tout !)
— Le marchand de graines Van Toch sur la grand-place, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas changé, Monsieur Van Toch. Toujours le même. Et comment vont les affaires ?
— Thanks, dit poliment le capitaine. Voilà longtemps qu’il s’en est allé, comme on dit, le père.
— Il est mort ? Eh bien, eh bien… C’est vrai, vous devez être son fils…
Et brusquement, un souvenir fit briller les yeux de M. Bondy :
— Mais mon pauvre, ce n’est pas vous le Van Toch qui se battait toujours avec moi, à Jevičko quand nous étions petits ?
— Ja, c’est bien moi, acquiesça gravement le capitaine. C’est bien pour cela que mes parents m’ont envoyé à Moravská Ostrava.
— On se battait souvent. Mais vous étiez plus fort que moi, reconnut M. Bondy en bon joueur.
— Ja, j’étais plus fort. Ben, vous étiez un petit Juif pas costaud, Monsieur Bondy. Qu’est-ce que je vous envoyais sur le derrière !
— Eh oui, c’est vrai, se rappelait G. H. Bondy avec émotion. Asseyez-vous donc, mon cher compatriote. C’est gentil d’être venu me voir. Quel bon vent vous amène ?
Le capitaine Van Toch s’installa posément dans un fauteuil de cuir et mit sa casquette par terre :
— J’ai ici mes vacances, Monsieur Bondy. Ben oui, c’est bien ainsi. That’s so,
— Vous vous rappelez, dit M. Bondy plongeant dans ses souvenirs quand vous veniez crier derrière moi : « Juif, Juif, le diable t’emporte dans ses griffes ! »
— Ja, déclara le capitaine et il manifesta son émotion en se mouchant avec un bruit de trompette dans son mouchoir bleu.
— Ach, ja. C’était le bon temps, ça. Ben, on n’y peut rien. Le temps passe. À présent nous sommes tous les deux vieux et tous les deux Captains.
— C’est vrai, vous êtes capitaine, se rappela M. Bondy. Je n’aurais jamais cru.
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