Je ne sais pas si c’est seulement nous, les Tchèques, qui sommes des gens si curieux, mais toutes les fois que j’ai rencontré un compatriote, il a fallu qu’il fourre son nez partout pour savoir ce qu’il y a là-dessous. Je crois que c’est parce que nous, les Tchèques, on ne veut jamais rien croire. Donc, je me suis mis dans ma vieille tête stupide d’aller les regarder de plus près, ces diables. J’étais aussi soûlé, faut dire ce qui est, mais c’est parce que je les avais tout le temps en tête, ces idiots de diables. Tu sais, vieux, y a rien d’impossible, là-bas, sur l’Équateur. Donc, le soir, je suis allé voir ce Devil Bay…

Bondy essaya de se représenter une baie des tropiques ourlée de rochers et de forêt vierge :

— Et alors ?

— Alors, je me suis assis là et je fais « ts, ts », pour les faire venir, ces diables. Et mon gars, au bout d’un moment, un de ces lézards est sorti de la mer, il s’est mis sur ses petites pattes de derrière et il se tortillait de tout son corps. Et il me faisait « ts, ts. » Si je n’avais pas été soûlé, j’aurais peut-être tiré dessus ; mais, mon pote, j’étais plein comme un Anglais et ben alors, je lui dis : « Vienne ici, toi, vienne ici, tapa-boy, je te veux pas de mal. »

— Vous lui parliez en tchèque ?

— Non, en malais. C’est surtout malaisien qu’on parle là-bas, mon gars. Lui, il ne dit rien, il se dandine et se tortille comme un gosse qui est intimidé. Et tout autour, sur l’eau, il y avait plusieurs centaines de ces lézards et ils sortaient leurs museaux de l’eau et ils me regardaient. Et moi, ben, faut dire ce qui est, j’étais soûlé, alors je me suis accroupi et je me suis tortillé comme ce lézard-là, pour qu’ils n’aient pas peur de moi. Et alors un autre lézard est sorti de l’eau, grand comme un gamin de dix ans, et il s’est mis aussi à se dandiner. Et dans sa petite patte de devant, il tenait une espèce de coquillage à perles.

Le capitaine but à grands traits :

— La vôtre, Monsieur Bondy. Il faut dire ce qui est, j’étais complètement rond et alors je lui fais : « Petit malin, tu voudrais que je te l’ouvre, ton coquillage ? Ja ? Alors vienne ici, je vais te l’ouvrir avec mon couteau. » Mais lui, il restait là, il n’osait pas, quoi. Alors, je me suis encore mis à me tortiller comme une petite fille intimidée. Alors, il s’est rapproché et moi, je tends doucement la main et je lui prends ce coquillage qu’il avait dans sa petite patte. Pour dire vrai, on avait peur tous les deux, tu imagines bien, Monsieur Bondy, mais moi j’étais soûlé, n’est-ce pas ? Alors, j’ai pris mon couteau et j’ai ouvert le coquillage ; j’ai tâté du doigt pour voir s’il n’y avait pas de perle, mais il n’y en avait pas, seulement cette sale morve, enfin ce mollusk gluant qui vit dans ces coquillages-là. « Na, que je lui fais, ts, ts-s, bouffe ça si tu veux. » Et je lui lance son coquillage ouvert. Tu aurais dû voir, mon gars, comme il l’a gobé. Pour ces lézards-là, ça doit être un drôle de tit-bit, comment ça se dit ?

— Une friandise.

— Ja, une friandise. Seulement eux, les pauvres, ils ne peuvent pas y rentrer avec leurs petits doigts dans ces coquillages qui sont si durs. Ah, la vie est dure, ja.

Le capitaine but à nouveau :

— Après coup, je me suis expliqué les choses, jeune homme. Quand les lézards ont vu comment ils coupaient les coquillages, mes Cingalais, ils ont dû se dire : ah, ils les bouffent et ils ont voulu voir comment ils les ouvraient, ces Cingalais. Dans l’eau, un de ces Cingalais, il ressemble assez à un lézard, seulement le lézard, il est plus malin que le Cingalais ou le Batak parce qu’il a envie d’apprendre quelque chose. Et le Batak, il n’apprend jamais rien que des voleries, ajouta le capitaine Van Toch avec indignation.

» Et quand ils m’ont vu sur la plage en train de faire « ts-ts-ts » et de me tortiller comme un lézard, ils ont dû penser que j’étais une espèce de gros salamander. Et alors, ils n’ont pas tellement eu peur et ils sont venus pour que je leur ouvre ce coquillage. Parce que ce sont des bêtes intelligentes et confiantes.

Le capitaine Van Toch devint tout rouge :

— Quand je les ai mieux connus, Monsieur Bondy, alors je me mettais tout nu pour être comme eux, tout pelé, n’est-ce pas ; mais eux, ça leur faisait tout drôle de voir ma poitrine toute velue et tout le reste, ja.

Le capitaine passa son mouchoir sur son cou écarlate :

— Mais c’est peut-être trop long, tout ça, Monsieur Bondy.

G. H. Bondy était sous le charme :

— Non, pas du tout. Continuez, continuez, capitaine.

— Ben oui, je veux bien. Quand ce lézard-là a vidé le coquillage, alors les autres regardaient, puis ils sont venus sur la plage. Il y en avait aussi qui avaient des coquillages dans leurs petites pattes… c’est drôle d’ailleurs, mon gars, comment ils ont pu les arracher à ces cliffs avec leurs menottes enfantines, sans pouces.