C’est pour ne pas oublier qu’on a reçu de l’argent.

Les douze francs, Dingle les but au Havre et de plus, au lieu de se rendre en Irlande, il partit pour Djibouti ; bref, cette messe ne fut pas dite et par conséquent aucune puissance supérieure n’intervint dans le déroulement naturel des événements.

VI
Un yacht dans la lagune

Mr. Abe Loeb regardait le soleil couchant à travers ses yeux mi-clos ; il aurait voulu trouver des mots pour dire comme c’était beau, mais sa Li chérie, alias Miss Lily Valley, de son vrai nom Miss Lilian Nowak, bref Li aux boucles d’or. White Lily, Lilian aux longues jambes sans compter tous les autres noms qu’on lui avait donnés avant qu’elle eût dix-sept ans, Li, donc, dormait sur le sable chaud, enveloppée dans un épais peignoir de bain et repliée en chien de fusil. Abe ne fit donc aucune remarque sur la beauté du monde, il se contenta de remuer ses orteils nus pour faire tomber les grains de sable pris entre ses doigts.

Là-bas, sur la mer, on aperçoit le yacht nommé Gloria Pickford, le yacht que papa Loeb a offert à Abe pour avoir passé ses examens à l’université. Papa Loeb est un chic type : Jesse Loeb, magnat du film, etc. « Abe, invite quelques amis et va un peu voir le monde », a-t-il dit, le vieux monsieur. Papa Jesse est ce qu’il y a de plus chic. Et voilà donc le Gloria Pickford sur l’eau calme aux teintes de nacre et voici Li chérie qui dort sur le sable chaud.

Abe soupira d’aise. Elle dort comme un petit enfant, la pauvre. Monsieur Abe ressentit un immense besoin de la protéger, il ne savait comment. « En fait, je devrais vraiment me marier avec elle », pensa le jeune Mr. Loeb tout en sentant peser sur son cœur un poids merveilleux et douloureux, fait de ferme résolution et de peur. Mama Loeb ne serait sans doute pas d’accord et papa Loeb lèvera les bras au ciel : « Tu deviens fou, Abe. » Bref, les parents ne peuvent pas comprendre, voilà tout. Et Monsieur Abe, soupirant de tendresse recouvrit d’un pan du peignoir, la blanche cheville de Li chérie. « C’est bête, pensa-t-il gêné, que j’aie les jambes tellement poilues ! »

« Mon Dieu, que le monde est beau ici. Dommage que Li ne voie pas tout cela. » Monsieur Abe posa son regard sur la ligne harmonieuse de ses hanches et par un vague enchaînement d’idées il se mit à penser à l’art. « Car Li chérie, c’est une artiste. Artiste de cinéma. C’est vrai qu’elle n’a encore jamais joué, mais elle est fermement décidée à être la plus grande actrice de cinéma de tous les siècles ; et quand Li décide quelque chose, elle le fait. Et c’est ce que la mère Loeb ne comprend pas ; une artiste, c’est une artiste et elle ne peut pas être comme les autres filles. Et d’ailleurs, les autres filles ne valent pas mieux, décida Monsieur Abe ; par exemple cette Judy qui est sur le yacht, une fille si riche, je sais bien que Fred va dans sa cabine. Toutes les nuits, je vous demande un peu, tandis que Li et moi… Bref, Li n’est pas comme ça. Enfin, si ça lui fait plaisir, à Baseball Fred, se dit Abe dans un élan de générosité, après tout, c’est un camarade d’université ; mais toutes les nuits – ce n’est pas bien pour une fille aussi riche. Je veux dire la fille d’une famille comme celle de Judy. Puis, elle n’est pas artiste, Judy. Qu’est-ce qu’elles ont parfois à chuchoter entre elles, ces filles, se demanda Abe, avec leurs yeux qui brillent et leurs petits rires… Moi je ne parle jamais de telles choses à Fred. Li ne devrait pas boire tant de cocktails ; après, elle ne sait pas ce qu’elle dit… Comme ce matin, ce n’était pas nécessaire… Je veux dire quand elle s’est disputée avec Judy pour savoir laquelle a les plus jolies jambes. Bien sûr que c’est Li… Ça, je le sais. Et pourquoi Fred a eu l’idée stupide de faire cc concours des plus belles jambes ?… Ça peut se faire du côté de Palm Beach mais pas en privé. Et les filles n’auraient pas dû lever leurs jupes si haut. Là, il ne s’agissait plus seulement de jambes. Li, au moins, n’aurait pas dû faire ça. Et surtout devant Fred ! Et une fille aussi riche que Judy non plus. Et moi, je crois que j’ai eu tort de faire venir le capitaine comme arbitre.