Et plus joli. Pourquoi trotte-t-elle si bizarrement, pourquoi la chair de ses jambes tremblote-t-elle ainsi ? Pourquoi ceci et cela ?…
« Arrête, se défendait Abe avec horreur. Li est la plus belle fille au monde ! Je l’aime terriblement… »
« Même si elle n’a rien sur le dos ? » interrogea la voix froide et critique.
Abe détourna les yeux et regarda le yacht sur la lagune. Comme il est beau, quelle précision dans chaque ligne de ses flancs ! Dommage que Fred ne soit pas là. Avec Fred, on pourrait discuter de la beauté du yacht.
La chérie, entre-temps, avait déjà de l’eau jusqu’aux genoux. Elle levait les bras vers le soleil couchant et elle chantait. Qu’est-ce qu’elle attend pour se baigner ? pensa Abe avec irritation. Mais c’était bien quand elle était couchée ici, roulée en boule dans son peignoir, les yeux fermés. Li chérie. Avec un sourire ému, Abe baisa la manche de son peignoir. Oui, il l’aimait terriblement. Au point que ça lui faisait mal.
Tout à coup un cri perçant retentit du côté de la lagune. Abe se mit sur ses genoux, pour mieux voir. Li chérie hurle, agite les bras et, trébuchant, faisant gicler de l’eau de toutes parts, elle cherche à revenir sur la plage… Abe bondit et court vers elle :
— Qu’est-ce qu’il arrive, Li ?
(Regarde donc comme elle court drôlement, lui fit observer la voix critique et froide. Elle écarte trop les jambes. Elle agite trop ses bras autour d’elle. Bref, cc n’est pas joli. Et de plus elle caquette, oui, elle caquette.)
— Qu’est-il arrivé, Li ? crie Abe en accourant à son aide.
— Abe, Abe, glapit la chérie et, vlan, la voilà qui s’est accrochée à lui, toute froide et mouillée. Abe, il y avait une bête, là-bas !
— Ce n’était rien, la consolait Abe. Un poisson, sans doute.
— Elle avait une tête si terrible, gémit la chérie en pressant son nez mouillé contre la poitrine d’Abe.
Abe voudrait lui taper paternellement sur l’épaule, mais taper sur un corps mouillé, ça fait trop de bruit :
— Allons, allons, grommelle-t-il, regarde, il n’y a plus rien là-bas.
Li se tourna vers la lagune :
— C’était affreux, soupira-t-elle, et tout à coup, elle se mit à glapir : Là, là, tu vois ?
Une tête noire qui ouvre et referme sa gueule approche lentement de la côte. Li chérie a poussé un hurlement hystérique et court pour s’éloigner de l’eau.
Abe resta indécis. Fallait-il courir après Li pour la rassurer ? Ou rester ici pour montrer que je n’ai pas peur de cette bête ? Ayant évidemment opté pour cette deuxième solution, il s’approcha de la mer jusqu’à ce que l’eau lui vînt aux chevilles et, les poings serrés, il regarda l’animal dans les yeux. La tête noire cessa de s’approcher, elle dodelinait curieusement et faisait : « ts, ts, ts. »
Abe sentit une légère angoisse mais se garda bien de la manifester :
— Qu’est-ce qu’il y a, dit-il sèchement en s’adressant à la tête.
— Ts, ts, ts, fit la tête.
— Abe, Abe, A-be, piaille Li chérie.
— J’arrive, crie Abe et lentement (pour sauver les apparences), il avance vers son amie. Il s’arrête encore une fois pour lancer un regard sévère du côté de la mer.
Sur la plage, là où la mer dessine sur le sable sa dentelle éternelle et éphémère, une sorte de bête noire à la tête ronde se tient sur ses pattes de derrière et se tortille. Abe s’arrête, le cœur battant.
— Ts, ts, ts, fait l’animal.
— A-be, gémit la chérie à moitié évanouie.
Abe recule, pas à pas, sans quitter l’animal du regard ; il ne bouge pas, il tourne seulement la tête vers Abe.
Voilà enfin Abe auprès de sa chérie, couchée le visage contre la terre, gémissant et hoquetant de terreur :
— C’est une espèce de phoque, dit Abe d’une voix incertaine. Nous devrions retourner au bateau, Li.
Mais Li ne faisait que trembler.
— Ce n’est absolument rien de dangereux, affirme Abe. Il voudrait se mettre à genoux devant Li, mais en bon preux il doit s’interposer entre la belle et la bête. Si seulement je n’étais pas en caleçon de bain, se dit-il, si j’avais au moins un canif ; ou bien si je trouvais un bâton…
Le jour commençait à tomber. La bête approchait de nouveau, puis elle s’arrêta, à trente pas environ du couple. Et derrière elle, cinq, six, huit bêtes pareilles sortaient de l’eau pour approcher lentement, en se dandinant, de l’endroit où Abe veillait sur Li chérie.
— Ne regarde pas, Li, souffla Abe.
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