Li.

Mais Li ne cria point. Li ne prit point la fuite. Li leva ses bras vers le ciel et le peignoir lui glissa des épaules. Li, toute nue, saluait des deux mains les ombres mouvantes et leur soufflait des baisers. Sur ses lèvres tremblantes on vit poindre quelque chose qu’on ne pouvait qualifier que de sourire enchanteur :

— Vous êtes si mignons, fit la voix tremblante, et de nouveau, les bras blancs se tendirent vers les ombres mouvantes.

— Viens m’aider, Li, grogna Abe assez rudement en continuant à pousser le bateau dans l’eau.

Li chérie ramassa son peignoir :

— Adieu, mes chéris !

On entendait déjà les ombres patauger dans l’eau.

— Qu’est-ce que tu attends, Abe ? siffla la chérie en avançant dans l’eau pour monter dans le canot. Les voilà encore !

Mr. Abe Loeb faisait des efforts désespérés pour renflouer le bateau. Et par-dessus le marché, voilà Miss Li installée dedans, agitant sa main dans un salut :

— Va de l’autre côté, Abe ! On ne me voit pas !

— Naïf. Ts-ts-ts. A-be.

— Naïf. Ts. Naïf.

Enfin le canot se balançait sur les vagues. Monsieur Abe grimpa dans l’embarcation et s’appuya de toutes ses forces sur les rames. L’une d’elles heurta un corps glissant.

Li chérie poussa un profond soupir de soulagement :

— N’est-ce pas qu’ils sont tout à fait gentils ? Et que j ’ai été parfaite ?

Monsieur Abe ramait de toutes ses forces vers le yacht.

— Mets ce peignoir, Li, dit-il assez sèchement.

— Je crois que c’était un succès formidable, constatait Miss Li. Et ces perles, Abe ! Qu’est-ce que tu crois qu’elles valent ?

Monsieur Abe cessa un instant de ramer :

— Je crois que tu ne devrais pas te montrer comme ça, chérie.

Miss Li se vexa un peu :

— Qu’est-ce que ça peut bien faire ? On voit bien, Abe, que tu n’es pas artiste. Rame, je t’en prie, j’ai froid dans ce peignoir.

VII
Un yacht dans la lagune (suite)

Ce soir-là, sur le yacht Gloria Pickford, les disputes personnelles avaient fait place à de bruyants débats scientifiques. Fred (loyalement soutenu par Abe) affirmait qu’il devait s’agir d’une sorte de salamandres, tandis que le capitaine manifestait des préférences pour les mammifères. Il n’y a pas de salamandres dans la mer, affirmait avec chaleur le capitaine ; mais ces jeunes messieurs de l’Université faisaient fi de ses objections ; des salamandres, ça fait tout de même plus sensationnel. Li chérie se contentait de penser que c’étaient des tritons, qu’ils étaient vraiment charmants et qu’en général c’était un grand succès ; et Li (vêtue du pyjama bleu à rayures qui plaisait tant à Abe) rêvait, les yeux brillants, de perles et de dieux de la mer. Judy était naturellement persuadée que c’était une blague et un bluff et elle adressait à Fred des clins d’œil rageurs pour lui dire d’arrêter les frais. Abe se disait que Li aurait bien pu rappeler que lui, Abe, était allé sans crainte au milieu des salamandres pour chercher son peignoir ; c’est pour cette raison qu’il raconta trois fois de suite comment Li avait magnifiquement affronté les salamandres tandis que lui, Abe, renflouait le canot et il était prêt à recommencer pour la quatrième fois ; mais Fred et le capitaine ne l’écoutaient absolument pas, passionnés qu’ils étaient par la querelle des salamandres et des mammifères. (Comme si ça c’était tellement important de savoir ce que c’était, se disait Abe.) Enfin, Judy bâilla et dit qu’elle allait dormir ; elle lança un regard significatif à Fred, mais Fred venait de penser qu’avant le déluge il y avait eu de drôles de vieilles salamandres, comment s’appelaient-elles, bon dieu, diplosaures, bigosaures ou dans ce goût-là et ceux-là, ils marchaient sur les pattes de derrière, Monsieur ; Fred les avait vus de ses propres yeux sur une drôle d’image savante, Monsieur, dans un gros livre. Un livre épatant, Monsieur, vous devriez lire ça.

— Abe, entendit-on Li chérie. J’ai une idée sensationnelle pour un film.

— Laquelle ?

— Quelque chose de tout à fait original. Tu sais, notre yacht aurait fait naufrage et je serais la seule rescapée sur cette île. Et je vivrais comme Robinson.

— Et qu’est-ce que vous deviendriez ? objecta le capitaine, sceptique.

— Je me baignerais et voilà tout, dit la chérie simplement. Et alors des Tritons tomberaient amoureux de moi… et ils m’apporteraient tout le temps des perles. Tu sais, tout à fait d’après la réalité. On pourrait en faire un film d’histoire naturelle, un film instructif, tu ne crois pas ? Quelque chose dans le genre de Trader Horn.

— Elle a raison, déclara soudain Fred. Nous devrions les filmer demain soir, ces salamandres.

— Ces mammifères, vous voulez dire, corrigea le capitaine.

— Moi, vous voulez dire, dit la chérie, entourée par les tritons de mer.

Mais dans ton peignoir de bain ! s’exclama Abe.

— Je prendrai le maillot de bain blanc, dit Li. Et il faudra que Greta me coiffe comme il faut.