Des ombres mouvantes sortent de la mer et s’approchent de Li. Greta enfonce son poing dans sa bouche pour ne pas crier.

— Li, crie Monsieur Abe, Li, sauve-toi.

— Naïf. Tss-ts-ts. Li. Li. Abe !

On entend le déclic du cran de sûreté d’un revolver.

— Ne tirez pas, que le diable vous emporte, siffle le capitaine.

— Li, crie Abe qui cesse de tourner. Judy, lumière !

Li se lève lentement, langoureusement et tend les bras vers le ciel.

Le dressing-gown léger glisse de ses épaules. Maintenant voici la blanche Lily debout, les bras levés au-dessus de sa tête dans le geste gracieux des naufragés qui reprennent connaissance. Monsieur Abe recommence furieusement à tourner sa manivelle.

— Bon sang, Judy, allume !

— Ts — ts — ts —

— Naïf, Naïf.

— A-be !

Les ombres noires se dandinent et tournent autour de la blanche Li. Attention, attention, voilà qui n’est plus un jeu. Li ne lève plus ses bras au-dessus de la tête, mais elle repousse quelque chose et crie de sa voix perçante :

— Abe, Abe, ça m’a touché !

Tout à coup, il se fait une lumière aveuglante. Abe tourne vite la manivelle, Fred et le capitaine, armés de leurs revolvers courent vers Li accroupie et hoquetant de terreur. En même temps, dans cette lumière violente, on voit des dizaines et des centaines de longues ombres noires se glisser précipitamment dans la mer. En même temps, deux marins lancent un filet sur l’une de ces ombres en fuite. En même temps, Greta s’évanouit et tombe comme un sac. En même temps, on entend claquer deux ou trois coups de feu, l’eau de la mer s’agite et gicle, les deux marins avec leur filet sont couchés sur quelque chose qui se tortille et se débat et la lumière entre les mains de Miss Judy s’est éteinte.

Le capitaine alluma sa lampe de poche.

— Vous n’avez rien eu, mon petit ?

— Il m’a touché la jambe, glapit la chérie.

— Fred, c’était terrible.

Monsieur Abe survint également avec sa lampe de poche.

— Ça a formidablement marché, Li, criait-il, mais Judy aurait pu donner la lumière plus tôt.

— Ça ne marchait pas, cria Judy, hein, Fred, que ça ne marchait pas ?

— Judy avait peur, l’excusait Fred. Je vous jure qu’elle ne l’a pas fait exprès, n’est-ce pas, Judy ?

Judy se vexa mais, entre-temps, les deux marins s’étaient approchés, traînant dans leur filet quelque chose qui faisait des soubresauts comme un gros poisson :

— Le voilà, capitaine. Et vivant.

— La sale bête, elle a craché une espèce de venin. J’ai les mains pleines de cloques, Monsieur. Et ça brûle drôlement.

— Moi aussi, elle m’a touchée, piaula Miss Li. Allume, Abe. Regarde, je n’ai pas de cloques, là ?

— Non, tu n’as rien, ma chérie, la rassurait Abe. Pour un peu, il aurait baisé cet endroit au-dessus du genou que la chérie frottait avec précaution.

— Ce que c’était froid, brrr… se plaignait Li chérie.

— Vous avez perdu une perle, Ma’am, dit l’un des marins en tendant à Li une petite boule ramassée dans le sable.

— Mon Dieu, Abe ! s’écria Miss Li, Ils m’ont encore apporté des perles. Mes enfants, venez chercher les perles ! Il doit y en avoir des tas ici, des perles que ces pauvres petits m’ont apportées. Ils sont charmants, n’est-ce pas, Fred ? Voilà encore une perle ! Et encore une !

Les faisceaux lumineux des trois lampes de poche se braquèrent sur le sable.

— J’en ai trouvé une énorme !

— Elle est à moi ! s’exclama Li chérie.

— Fred, fit Miss Judy d’un ton glacial.

— Tout de suite, dit Fred qui rampait à genoux dans le sable.

— Fred, je veux retourner au bateau.

— Tu trouveras quelqu’un pour te ramener, lui conseilla Fred, très occupé. Bon sang, ça alors, c’est rigolo !

Les trois messieurs et Mademoiselle continuaient à s’agiter sur le sable comme trois gros vers luisants.

— Faites voir, faites voir, piaillait Li, au comble de l’enthousiasme, et elle courut, toujours sur ses genoux, vers le capitaine.

Tout à coup, un projecteur éclaira la scène et la manivelle de la caméra tourna avec un bruit furieux :

— Et vous voilà, déclara Judy d’un ton vengeur. Ce sera une photo formidable pour les journaux. UN GROUPE D’AMERICAINS CHERCHE DES PERLES. LES SALAMANDRES MARITIMES LANCENT DES PERLES AUX HOMMES.

Fred s’assit :

— Bon sang, elle a raison, Judy. Mes enfants, il faut mettre ça dans les journaux.

Li s’assit à son tour :

— Judy est un amour.