Les monstres sous-marins ont beaucoup de succès auprès des lecteurs. Surtout aux U.S.A., les tritons furent à la mode ; à New York, on joua trois cents fois une revue à grand spectacle Poséidon avec trois cents des plus belles Tritonettes, Néréides et Sirènes ; à Miami et sur les plages de Californie, les jeunes se baignaient en costumes de Tritons et de Néréides (c’est-à-dire trois rangées de perles et rien d’autre) alors que, dans les états du Middle-West, on vit le Mouvement Contre l’Immoralité (M.C.I.) prendre un puissant essor ; il y eut des manifestations publiques et plusieurs nègres furent soit pendus, soit brûlés vifs.
Enfin, le National Géographic Magazine publia le rapport de l’Expédition Scientifique de Columbia University (organisée aux frais de J. S. Tinker, dit le roi des Conserves). Ledit rapport était signé par L. P. Smith, W. Klein-schmidt, Charles Kovar, Louis Fourgeron et D. Herrero, c’est-à-dire des sommités mondiales surtout dans le domaine des parasites, des poissons, des vers annulaires, de la biologie des plantes, des tiques et des amibes.
Ce rapport étant très volumineux, nous nous contenterons de citer quelques passages :
… C’est sur l’île de Rakanga que l’expédition trouva pour la première fois les empreintes des pattes de derrière d’une salamandre géante, jusqu’alors inconnue. Les empreintes présentent cinq doigts, longueur des doigts de 3 à 4 cm. D’après le nombre des empreintes, la côte de l’île de Rakanga fourmille littéralement de salamandres. Attendu que l’on n’a pas trouvé d’empreintes des pattes de devant (à l’exception d’une empreinte à quatre doigts, sans doute celle d’un bébé salamandre) l’expédition a conclu que ces salamandres se déplacent sur leurs membres postérieurs.
Nous soulignons que l’îlot de Rakanga ne possède ni fleuve ni marécage ; ces salamandres vivent donc dans la mer ; ce sont sans doute les seuls représentants de l’espèce à vivre dans un milieu pélagique. On sait cependant que l’axolotl mexicain (Amblystola mexicanum) vit dans les lacs salés ; mais même le classique ouvrage de W. Korngold, Les Amphibies Urodèles (Urodela, Berlin, 1913) ne fait aucune allusion à des salamandres pélagiques.
… Nous avons attendu jusque dans l’après-midi pour capturer ou du moins pour voir un spécimen vivant. Ce fut en vain. C’est avec regret que nous avons quitté le charmant îlot de Rakanga où D. Herrero a réussi à découvrir une splendide espèce de cafard encore inconnue…
La chance nous sourit davantage sur l’île Tongarewa. Nous attendions sur la côte, des fusils à la main. Après le coucher du soleil, des têtes de salamandres sont sorties de l’eau. Ces têtes sont assez grandes et légèrement aplaties. Au bout d’un moment, les salamandres sont montées sur le sable.
Elles marchaient assez adroitement mais en se dandinant sur leurs pattes de derrière. Elles s’assirent en formant un grand cercle et se mirent à faire tourner leur buste d’un mouvement tout particulier. On aurait dit qu’elles dansaient. W. Kleinschmidt se leva pour mieux voir. Alors, les salamandres tournèrent la tête vers lui et s’immobilisèrent un instant. Puis, elles commencèrent à s’approcher de lui assez rapidement en émettant des bruits sifflants et des sortes d’aboiements. Quand elles furent à environ sept pas de lui, nous fîmes feu. Elles prirent hâtivement la fuite et se jetèrent à la mer. Elles ne se montrèrent plus ce soir-là. Sur la côte, il ne restait que deux salamandres mortes et l’une à la colonne vertébrale brisée qui émettait un bruit étrange comme « Ogod, ogod, ogod. » Elle mourut plus tard. Quand W. Kleinschmidt ouvrit sa cavité pulmonaire… (Suivent des détails anatomiques que nous autres profanes ne comprendrions pas de toute façon. Les lecteurs spécialisés sont priés de consulter le bulletin précité.)
Il s’agit donc, comme le montrent les caractéristiques que nous avons citées d’un membre typique de l’espèce des amphibies urodèles (Urodela) qui comprend, comme on le sait, la sous-espèce des vraies salamandres (Salamandrida), qui comprend à son tour la race des tritons (Tritones) et des salamandres (Salamandrae), la sous-espèce des salamandres ichtyoïdes (Ichtyoida) qui comprend à son tour la race des salamandres cryptobranchiennes (Cryptobranchiata) et des ranuliens (Phanebranchiata). La salamandre trouvée sur l’île de Tongarewa semble se rapprocher surtout des salamandres ichtyoïdes cryptobranchiennes ; par de nombreux aspects et en particulier par sa taille, elle rappelle la grande salamandre géante japonaise (Megolabatrachus Sieboldii) ou bien le Hellbender américain, dit le « diable des marais ». Mais il se distingue de ces derniers par ses sens bien développés et par ses membres plus longs et plus vigoureux qui lui permettent de se déplacer assez adroitement dans l’eau et sur la terre ferme. (Suivent d’autres détails d’anatomie comparée.
C’est après avoir dégagé le squelette des animaux tués que nous avons fait notre constatation la plus intéressante : à savoir que le squelette de ces salamandres correspond presque parfaitement à l’empreinte fossile du squelette de salamandre trouvé sur une dalle de pierre de la carrière d’Öningen par le Dr Johannes Jakob Scheuchzer et décrite par lui dans son ouvrage Homo Diluvii Testis, publié en 1726. Rappelons à des lecteurs moins avertis que ledit Dr Scheuchzer prit ce fossile pour les restes de l’homme antédiluvien. « L’image ci-jointe, écrivit-il, que je présente au monde sous forme d’une belle gravure sur bois, est assurément et sans nul doute, l’image de l’homme qui fut témoin du déluge ; il n’y a pas là de ligne dont une imagination fertile devrait d’abord se saisir pour fabriquer quelque chose qui ressemblerait à un homme ; non, il y a là partout une parfaite correspondance avec les différentes parties du squelette humain et une symétrie non moins parfaite. L’homme pétrifié est ici vu de devant ; voici le mémorial d’une humanité éteinte, plus ancien que toutes les pierres tombales romaines, grecques et même toutes les pierres tombales de l’Orient prises ensemble. »
Plus tard, Cuvier reconnut dans l’empreinte d’Öningen le squelette fossilisé d’une salamandre qui fut nommée Cryptobranchus Primaevus ou bien Andrias Scheuchzeri Tschudi et classée comme une race depuis longtemps éteinte.
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