Bonjour, bonjour, Monsieur.

On aurait dit que la salamandre ne pouvait pas se rassasier de paroles. Mais Greggs n’avait plus rien à lui dire. Mr. Thomas Greggs ne brillait pas par son éloquence.

— Ferme-la, maintenant, dit-il. Quand j’aurai fini, je vais t’apprendre à parler.

— Ferme-la, marmottait la salamandre. Bonjour, Monsieur. Regarde, une salamandre. Je vais t’apprendre à parler.

La direction du Zoo n’aimait pas que les gardiens apprennent des tours à leurs animaux ; les éléphants, passe encore, mais les autres animaux étaient là pour instruire le public et non pour lui offrir une sorte de cirque. Donc, Mr. Greggs passait son temps à la section des salamandres plus ou moins en secret, quand personne n’était là. Comme il était veuf, on ne s’étonnait pas de le voir s’isoler dans le pavillon des sauriens. À chacun ses goûts. De plus, la section des salamandres n’attirait guère les visiteurs. Le crocodile, lui, jouissait de la popularité générale, mais Andrias Scheuchzeri coulait ses jours dans une relative solitude.

Un jour, à la tombée du crépuscule, à l’heure de la fermeture des pavillons, le directeur du Zoo, Sir Charles Wiggam faisait le tour de certaines sections pour vérifier si tout était en règle. Alors qu’il passait dans la section des salamandres, il entendit l’eau s’agiter dans un bassin et quelqu’un dire d’une voix éraillée :

— Bonsoir, Monsieur.

— Bonsoir, dit le directeur, surpris. Qui est là ?

— Excusez-moi, Monsieur, dit la voix éraillée. Ce n’est pas Mr. Greggs ?

— Qui est là ? répéta le directeur.

— Andy. Andrew Scheuchzeri.

Sir Charles s’approcha du bassin. Il n’y vit que la salamandre, assise, immobile et droite.

— Qui m’a parlé ?

— Andy, Monsieur, dit la salamandre. Qui êtes-vous ?

— Wiggam, hoqueta Sir Charles, ahuri.

— Enchanté, dit poliment Andy. Comment allez-vous ?

— Que diable ! hurla Sir Charles. Greggs ! Greggs ! Mr. Thomas Greggs, essoufflé et inquiet, entra en coup de vent.

— Monsieur ?

— Greggs, qu’est-ce que cela signifie ? cria Sir Charles.

— Il est arrivé quelque chose, Monsieur ? bégaya Mr. Greggs.

— Cette bête parle !

— Excusez-moi, Monsieur, dit Mr. Greggs, navré. Il ne faut pas faire ça, Andy. Je vous ai déjà dit mille fois que vous n’avez pas à importuner les gens avec vos bavardages. Je m’excuse, Monsieur, cela ne se reproduira pas.

— C’est vous qui avez appris à parler à cette salamandre ?

— Mais c’est elle qui a commencé, se défendit Mr. Greggs.

— J’espère que cela ne se reproduira plus, Greggs, dit sévèrement Sir Charles. Je vous aurai à l’œil.

Quelque temps après cet incident, Sir Charles discutait avec le professeur Petrov de la soi-disant intelligence des animaux, des réflexes conditionnés et du fait que l’opinion avait tendance à surestimer la raison des animaux. Le professeur Petrov faisait entendre ses doutes au sujet des chevaux d’Elberfeld dont on disait qu’ils ne savaient pas seulement compter, mais aussi élever au carré et extraire des racines ; après tout, disait-il, même un homme cultivé ne sait pas les extraite, les racines. Sir Charles se souvint de la salamandre parlante de Greggs.

— J’ai une salamandre ici, dit-il avec quelque hésitation. C’est le fameux Andrias Scheuchzeri qui a appris à parler comme un perroquet.

— Impossible, dit le savant. Vous savez bien que la langue des salamandres n’est pas mobile.

— Eh bien, venez voir, dit Sir Charles. Aujourd’hui, c’est jour de nettoyage, alors on ne sera pas gênés par la foule.

À l’entrée des salamandres, Sir Charles s’arrêta. De l’intérieur venait le frottement d’un balai et une voix monotone ânonnait quelque chose.

— Attendez, souffla Sir Charles Wiggam.

— Y A-T-IL DES HOMMES SUR MARS ? épela la voix monotone.