Ceux qui le désirent peuvent immédiatement se défaire de leurs actions de la Société d’Exportations du Pacifique. Je suis prêt à racheter toutes les actions (à combien ?)… à leur valeur nominale, Monsieur. (Animation dans la salle. La présidence autorise une suspension de séance pour dix minutes.)
Après la reprise, H. BRINKELAER demande la parole. Il se dit satisfait de voir les salamandres se multiplier si assidûment pour accroître ainsi les biens de la Société. Mais naturellement, Messieurs, ce serait de la folie de les élever pour rien ; si nous ne pouvons pas leur trouver un travail convenable, je propose au nom d’un groupe d’actionnaires de vendre tout simplement les salamandres comme main-d’œuvre à quiconque souhaite entreprendre des travaux dans l’eau et sous l’eau. (Applaudissements.) L’alimentation d’une salamandre ne coûte que quelques centimes par jour ; si nous vendons un couple de salamandres, mettons à cent francs et si la salamandre travailleuse ne fonctionnait que, mettons, un an ce sera un jeu d’enfant pour toute entreprise d’amortir cet investissement. (Signes d’assentiment.)
J. GILBERT constate que l’âge atteint par les salamandres dépasse de beaucoup un an. Quant à connaître leur véritable durée, notre expérience n’est pas encore assez longue.
H. BRINKELAER rectifie sa proposition. Il propose de vendre le couple de salamandres trois cents francs franco port.
S. WEISSBERGER demande quels travaux les salamandres sont en mesure d’effectuer.
Le DIRECTEUR VOLAVKA : Grâce à leur instinct naturel et à leur remarquable sens technique, les salamandres se prêtent surtout à la construction de digues, de levées et de brise-vagues, à creuser des ports et des canaux, à nettoyer les bas-fonds et les dépôts de boue et à déblayer les voies fluviales ; elles peuvent contrôler et aménager les côtes, élargir les continents, etc. Dans tous ces cas, il s’agit de grands travaux, exigeant des centaines et des milliers de travailleurs ; des travaux si étendus que la technique la plus moderne ne s’y attaquera que lorsqu’elle disposera d’une main-d’œuvre infiniment bon marché. (C’est cela ! Excellent !)
Le DR HUBKA objecte qu’en vendant les salamandres qui pourraient éventuellement se multiplier dans leurs nouveaux lieux de séjour, la Société perdra son monopole sur les salamandres. Il propose que des colonies de salamandres ouvrières soient seulement louées aux entrepreneurs de travaux hydrauliques – colonies de salamandres qualifiées et formées à la condition expresse que leur éventuelle progéniture continuera à appartenir à la Société.
Le DIRECTEUR VOLAVKA fait remarquer qu’il n’est pas possible de surveiller dans l’eau des millions sinon des milliards de salamandres et encore moins leur progéniture ; malheureusement de nombreuses salamandres ont déjà été volées pour les jardins zoologiques et les ménageries.
Le COLONEL D. W. BRIGHT : Nous devrions uniquement vendre ou louer des mâles pour les empêcher de se multiplier en dehors des bassins et des fermes d’élevage appartenant à la Société.
Le DIRECTEUR VOLAVKA : Nous ne pouvons pas affirmer que les fermes d’élevage des salamandres soient la propriété de la Société. Il n’est pas possible de posséder ou de louer des terrains au fond de la mer. La question juridique de savoir à qui appartiennent par exemple les salamandres vivant dans les eaux territoriales de sa Majesté la Reine de Hollande est très peu claire et peut entraîner de nombreux litiges. (Inquiétude dans la salle). Dans la plupart des cas, même le droit de pêche n’est pas garanti ; en fait, messieurs, c’est en fraude que nous avons fondé nos fermes d’élevage dans les îles du Pacifique. (Inquiétude croissante.)
J. GILBERT répond au colonel Bright que, d’après l’expérience actuelle, les mâles isolés perdent au bout d’un certain temps leur vivacité et leur courage au travail ; ils deviennent paresseux, indifférents et meurent souvent de tristesse.
VON FRISCH demande s’il ne serait pas possible de stériliser ou de châtrer les salamandres destinées au marché.
J. GILBERT : Ce serait trop onéreux ; il nous est tout simplement impossible d’empêcher les salamandres vendues de continuer à se multiplier.
S. WEISSBERGER demande, en tant que membre de la Société protectrice des Animaux, que la vente des salamandres se fasse de façon humaine et sans porter atteinte aux sentiments humains.
J. GILBERT le remercie de cette suggestion. Il est entendu que la pêche et le transport des salamandres seront assurés par un personnel spécialisé et soumis à un contrôle adéquat. Mais nous ne pouvons donner de garantie quant au traitement des salamandres par les entrepreneurs qui les auront achetées.
S. WEISSBERGER se déclare satisfait des assurances du Vice-Président J. Gilbert. (Applaudissements.)
G. H. BONDY : Messieurs, renonçons dès maintenant à l’idée que nous pourrions à l’avenir conserver un monopole sur les salamandres. Malheureusement, le règlement en vigueur ne nous permet pas de les faire breveter. (Rires.) Notre position privilégiée dans le commerce des salamandres doit et peut être assurée autrement. (Très bien !) Voici devant moi, Messieurs, toute une liasse d’accords préliminaires. Le conseil d’administration propose la création d’un nouveau trust vertical sous l’appellation de Salamander Syndicate. Outre notre Société feraient partie du Syndicat des Salamandres certaines grandes entreprises et de puissants groupes financiers ; par exemple, une certaine entreprise qui produira des outils spéciaux, brevetés, pour les salamandres. (Vous voulez parler de la M.E.A.S. ?) Parfaitement, Monsieur, je fais allusion à la M.E.A.S. Ensuite, un cartel de produits alimentaires et chimiques qui produira un aliment breveté et bon marché pour les salamandres ; un groupe de sociétés de transport qui fera – en utilisant l’expérience déjà acquise – breveter des réservoirs hygiéniques spéciaux pour les salamandres ; un groupe de sociétés d’assurances qui se chargera d’assurer les animaux vendus contre les accidents et la mort tant au cours du transport que sur les chantiers ; et j’ai de sérieuses raisons de ne pas nommer ici d’autres intérêts de l’industrie, de l’exportation et de la finance. Il vous suffira peut-être, Messieurs, d’apprendre que pour commencer ce Syndicat disposerait de 400 millions de livres sterling. (Animation). Ce dossier, Messieurs, contient des accords qu’il suffit de signer pour créer l’une des plus puissantes organisations économiques de notre époque.
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