Dans l’après-midi, et au
même endroit, il avait également fait une partie. Ses partenaires,
M. Murray, sir John Hardy et le colonel Moran, témoignèrent que
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les jeux avaient été sensiblement d’égale force et qu’il n’y avait
pas eu de grosse différence d’argent. Adair avait peut-être perdu
cinq livres, mais pas davantage. Jouissant d’une fortune
considérable, il n’avait aucune raison d’être affecté par une perte
de cet ordre. Avec régularité, il fréquentait tantôt un cercle, tantôt
un autre : c’était un joueur prudent, qui gagnait souvent.
Récemment, avec le colonel Moran comme partenaire, il avait
gagné la coquette somme de deux cent quarante livres contre
Godfrey Milner et lord Balmoral. Le soir du crime, il était rentré
chez lui exactement à dix heures. Sa mère et sa sœur étaient
sorties : elles passaient la soirée chez une parente. La domestique
déposa qu’elle l’avait entendu pénétrer dans la pièce du devant du
deuxième étage qu’il utilisait comme salon personnel.
Auparavant, elle y avait allumé du feu ; celui-ci dégageant de la
fumée, elle avait ouvert la fenêtre. Le salon demeura silencieux
jusqu’à onze heures vingt. Lady Maynooth et sa fille, dès leur
retour, voulurent dire bonsoir à Ronald. Lady Maynooth essaya
d’entrer. La porte était fermée de l’intérieur. Elles frappèrent,
appelèrent, mais leurs cris demeurèrent sans réponse.
Finalement, la porte fut forcée. Le corps de l’infortuné jeune
homme gisait près de la table, la tête horriblement fracassée par
une balle explosive de revolver, mais dans la pièce on ne retrouva
aucune arme. Sur la table, il y avait deux billets de dix livres, plus
dix-sept livres et dix schillings en pièces d’or et d’argent disposées
en petites piles de valeur différente. Sur une feuille de papier
figuraient aussi quelques chiffres avec en regard des noms d’amis
de club. On en déduisit qu’avant sa mort il était en train de
chiffrer ses gains et ses pertes aux cartes.
Un examen minutieux acheva de rendre l’affaire inexplicable.
En premier lieu, il fut impossible de déceler le motif pour lequel
le jeune homme se serait enfermé à clé. Restait l’hypothèse où la
porte aurait été fermée par l’assassin, qui se serait ensuite enfui
par fenêtre. Mais la fenêtre était bien à sept mètres au-dessus
d’un parterre de crocus en plein épanouissement. Or ni les fleurs
ni le sol ne présentaient la moindre trace de désordre, et on ne
releva aucune empreinte de pas sur l’étroite bande d’herbe qui
séparait la maison de la route. Apparemment donc, c’était le
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jeune homme qui s’était lui-même enfermé. Mais comment avait-
il été tué ? Personne n’aurait pu grimper par le mur jusqu’à la
fenêtre sans laisser trace de son escalade. Et si l’assassin avait tiré
par la fenêtre, ç’aurait été un tireur absolument hors de pair
puisqu’il avait infligé avec un revolver une blessure aussi
effroyable. Par ailleurs, Park Lane est une artère fréquentée : il y a
à moins de cent mètres une station de fiacres.
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