Le ciel était constamment bleu. D’invisibles alouettes grisolaient sans cesse au-dessus de la ville silencieuse. Parfois, un fiacre qui transportait un étranger cahotait de l’hôtel à la gare sur le pavé inégal. Parfois, on percevait le trot des deux chevaux attelés à la voiture qui promenait M. de Winternigg à travers la grand-rue, du nord au sud, entre le château de ce grand propriétaire terrien et son pavillon de chasse.
Petit vieillard parcheminé enveloppé dans une grande couverture jaune, avec une toute petite tête momifiée, M. de Winternigg passait dans sa calèche. Il passait dans la plénitude de l’été, telle une piteuse survivance de l’hiver. Sur de hautes roues caoutchoutées, élastiques et silencieuses, dont les délicats rayons, peints en brun, reflétaient le soleil, il passait directement de son lit à sa richesse campagnarde. Les vastes forêts sombres et les gardes blonds habillés de vert l’attendaient déjà. Les habitants de la ville le saluaient. Il ne leur répondait pas. Il franchissait impassiblement un océan de saluts. Son cocher se tenait tout en haut, raide comme un I dans sa livrée noire, son haut-de-forme touchait presque les têtes des marronniers ; le fouet caressait en souplesse l’échine des chevaux bais et, à intervalles réguliers, les lèvres closes du cocher livraient passage à un claquement sec, plus sonore que le trot des chevaux, qui ressemblait à un mélodieux coup de fusil.
C’est alors que commençaient les vacances. À quinze ans, Charles-Joseph von Trotta, fils du préfet, élève à l’école de cavalerie de Mährisch-Weisskirchen, avait l’impression que sa ville natale était un lieu estival. C’était la patrie de l’été comme c’était sa propre patrie. À Noël et à Pâques, il était invité chez son oncle. Il ne venait chez lui qu’aux grandes vacances. Le jour de son arrivée était toujours un dimanche. Conformément à la volonté de son père, M. le préfet, François, baron von Trotta et Sipolje, quel que fût le jour qui marquait le début des vacances à l’école, chez lui, elles avaient toujours à commencer un dimanche. Le dimanche, M. von Trotta et Sipolje n’était pas de service. Toute sa matinée, de neuf heures à midi, était réservée à son fils. Un quart d’heure après la première messe, le jeune homme se tenait ponctuellement devant la porte de son père, en tenue dominicale. À neuf heures moins cinq, Jacques descendait l’escalier, dans sa livrée grise, et disait :
– Monsieur, voilà Monsieur votre papa qui arrive.
Charles-Joseph tirait une fois de plus sur sa tunique, rectifiait son ceinturon, prenait son képi à la main et l’appuyait réglementairement contre sa hanche. Le père arrivait, le fils joignait ses talons dont le claquement retentissait dans la vieille maison silencieuse. Le vieil homme ouvrait la porte et cédait le pas à son fils avec un petit salut de la main. Le jeune homme ne bougeait pas, il ne prenait pas note de l’invitation. Le père entrait donc. Charles-Joseph le suivait et s’arrêtait sur le seuil.
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