Aussi après la naissance de notre fils avons-nous fait chambre à part. D’ailleurs, et même pendant notre voyage de noces, le colonel n’a jamais cessé de courir le guilledou. Je n’étais pas affamée au point de me contenter du reste des filles, des gueuses.
— Oh ! moi, je pardonnais à M. Blok, tous les soirs, et même dans les premiers temps de notre mariage, s’il lui prenait fantaisie (Mme Blok est gênée), oui, s’il lui prenait fantaisie, l’après-midi.
— L’après-midi. Vous étiez une faible femme, Herminie.
— J’avais besoin d’amour, Louisa.
— Et vous appelez amour les exigences d’un homme en rut. Tous ces sales gestes. Je me trouve honteuse, rien que d’y penser. Je ne suis pourtant pas bégueule. Des caresses vous troublaient à ce point Herminie ?
— J’avais chaud contre la poitrine de Dimitri, c’était son petit nom, et il suffisait même qu’il mît ses bras autour de ma taille pour que je fusse heureuse.
— Dites que vous aviez M. Blok dans la peau.
— Je le dirai si vous voulez.
— Ainsi vous avez eu un homme dans la peau. Vous avez aimé. Pauvre amie. Moi jamais. De là vient ma force.
— Je vous admire, Louisa, je vous envie.
— Mon père le président Dufour avait fait de moi une femme de devoir, et femme de devoir je suis demeurée.
— Moi, quand j’avais dix ans déjà je me demandais ce que pouvait être l’amour. Je restais des heures entières, assise dans un coin, sans bouger. Mes parents vantaient ma sagesse, et moi j’avais un peu honte de leurs compliments.
— Vous aviez honte, et, certes, il y avait de quoi. Je vous aurais douchée si j’avais été votre mère.
— Elle ne savait pas à quoi je pensais.
— C’est juste ! »
Mme Blok se laisse aller à ses regrets
« Maintenant je suis une vieille femme, je suis veuve. J’ai une grande fille. Mon cousin Bricoulet m’épouserait bien, mais Diane le déteste. Alors, je demeure condamnée à la solitude depuis le jour où M. Blok m’a quittée. Je l’aimais et pourtant c’est de sa propre volonté qu’il m’a laissée. Il s’est suicidé.
— Diable, diable. Sans doute avait-il fait de mauvaises affaires ?
— Non.
— Peut-être avait-il un enfant naturel ?
— Pas que je sache.
— N’aurait-il point par hasard attrapé quelque inavouable maladie ? On ne peut tout de même pas se tuer sans raison, chère amie.
— M. Blok pourtant n’avait pas fait de mauvaises affaires, n’avait pas eu d’enfant naturel, ni attrapé d’inavouable maladie.
— Alors ?
— N’empêche qu’il s’est tué.
— S’il s’est tué, il faut expliquer pourquoi ? »
Mme Dumont-Dufour a pris le ton de menace. Sans doute croit-elle qu’on lui cache la vérité. Mme Dumont-Dufour est un esprit clair. Dût-elle être martyrisée, elle répéterait jusqu’à la consommation des siècles que, si M. Blok s’est tué, il y a une raison, et pas une raison en l’air. Sinon, il n’est pas mort.
Et voici que déjà Mme Dumont-Dufour met en doute la mort de M.
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