Nous naissons tels. Rétablir
l’ordre, c’est défaire en nous la créature.
Retournement de l’objectif et du subjectif.
De même, retournement du positif et du négatif. C’est aussi
le sens de la philosophie des Upanishads.
Nous naissons et vivons contresens, car nous naissons et
vivons dans le péché qui est un renversement de la hiérarchie. La première
opération est le retournement. La conversion.
Si le grain ne meurt… Il doit mourir pour libérer l’énergie
qu’il porte en lui afin qu’il s’en forme d’autres combinaisons.
De même nous devons mourir pour libérer l’énergie attachée, pour
posséder une énergie libre susceptible d’épouser le vrai rapport des choses.
L’extrême difficulté que j’éprouve souvent à exécuter la
moindre action est une faveur qui m’est faite. Car ainsi, avec des actions
ordinaires et sans attirer l’attention, je peux couper des racines de l’arbre. Si
détaché qu’on soit de l’opinion, les actions extraordinaires enferment un
stimulant est tout à fait absent des actions ordinaires. Trouver une difficulté
extraordinaire à faire une action ordinaire est une faveur dont il faut être
reconnaissant. Il ne faut pas demander la disparition de cette difficulté ;
il faut implorer la grâce d’en faire usage.
D’une manière générale, ne souhaiter la disparition d’aucune
de ses misères, mais la grâce qui les transfigure.
Les souffrances physiques (et les privations) sont souvent
pour les hommes courageux une épreuve d’endurance et de force d’âme. Mais il en
est un meilleur usage. Qu’elles ne soient donc pas cela pour moi. Qu’elles
soient un témoignage sensible de la misère humaine. Que je les subisse d’une
manière entièrement passive. Quoi qu’il arrive, comment pourrais-je jamais
trouver le malheur trop grana, puisque la morsure du malheur et l’abaissement
auquel il condamne permettent la connaissance de la misère humaine, connaissance
qui est la porte de toute sagesse ?
Mais le plaisir, le bonheur, la prospérité, si on sait y
reconnaître ce qui vient du dehors, (du hasard, des circonstances, etc.), témoignent
aussi de la misère humaine. En faire aussi cet usage. Et même la grâce, en tant
que phénomène sensible… Être rien pour être à sa vraie place dans le tout.
Le renoncement exige qu’on passe par des angoisses
équivalentes à celles que causerait en réalité la perte de tous les êtres chers
et de tous les biens, y compris les facultés et acquisitions dans l’ordre et
les croyances sur ce qui est bien et ce qui est stable, etc. Et tout cela il ne
faut pas se l’ôter soi-même, mais le perdre – comme Job. Mais l’énergie ainsi
coupée de son objet ne doit pas être gaspillée en oscillations, dégradée. L’angoisse
doit donc être plus grande encore que dans le malheur réel, elle ne doit pas
être morcelée au long du temps ni dirigée vers une espérance.
Quand la passion de l’amour va jusqu’à l’énergie végétative,
alors on a des cas comme Phèdre, Arnolphe, etc. « Et je sens là-dedans qu’il
faudra que je crève… »
Hippolyte est vraiment plus nécessaire à la vie de Phèdre, au
sens le plus littéral, que la nourriture.
Pour que l’amour de Dieu pénètre aussi bas, il faut que la
nature ait subi la dernière violence. Job, croix…
L’amour de Phèdre, d’Arnolphe est impur. Un amour qui descendrait
aussi bas et qui serait pur…
Devenir rien jusqu’au niveau végétatif ; c’est alors
que Dieu devient du pain.
Si nous nous considérons à un moment déterminé – l’instant
présent, coupé du passé et de l’avenir – nous sommes innocents. Nous ne pouvons
être à cet instant que ce que nous sommes : tout progrès implique une
durée. Il est dans l’ordre au monde, à cet instant, que nous savons tels.
Isoler ainsi un instant implique le pardon. Mais cet
isolement est détachement.
Il n’y a que deux instants de nudité et de pureté parfaites
dans la vie humaine : la naissance et la mort. On ne peut adorer Dieu sous
la forme humaine sans souiller la divinité que comme nouveau-né et comme
agonisant.
Mort. État instantané, sans passé ni avenir Indispensable
pour l’accès à l’éternité.
Si on trouve la plénitude de la joie dans la pensée que Dieu
est, il faut trouver la même plénitude dans la connaissance que soi-même on n’est
pas, car c’est la même pensée. Et cette connaissance n’est étendue à la
sensibilité que par la souffrance et la mort.
Joie en Dieu. Il y a réellement joie parfaite et infime en
Dieu. Ma participation ne peut rien ajouter, ma non-participation rien ôter à
la réalité de cette joie parfaite et infinie.
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